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Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

"Papillons du Jura", Jean-Claude Gerber


Chroniquer un ouvrage consacré aux papillons, voilà un exercice peu usuel qui, dans le milieu littéraire, ne devrait toutefois susciter aucune réserve, tant il est vrai que parmi les femmes et hommes de lettres, nombreux sont les amoureux de ces petites fleurs ailées, n’hésitant pas à les caresser du regard et les magnifier de la plume. Et de songer notamment à Lamartine, de Nerval, Carême ou Nabokov. Ma contribution – fort modeste - à ce petit monde unanimement admiré pour ses atours polychromiques et, pourtant, en phase de régressions géographique et numérique, est un envol au pays des lépidoptères du Jura.

 

Dans la lignée des magnifiques ouvrages à grand format des systématiciens naturalistes européens du XIXème siècle, tels Hübner, Herrich-Schäffer ou von Heinemann en Allemagne, Duponchel, Boisduval ou Lucas en France, Tibbats Stainton, Kirby ou Morris en Grande-Bretagne, Jean-Claude Gerber, en entomologiste passionnant et passionné, emmène le lecteur à effectuer une très belle balade didactique dans les forêts, les prairies, les pâturages et les zones rocheuses, au milieu des arbustes, des plantes, des fleurs, des lépidoptères et des parfums d’enfance.

 

Au cours de cette promenade entomologique, divisée en plusieurs étapes, le lecteur commence par découvrir quelques notions sur le papillon, sa morphologie, sa biologie et son cycle de vie, un monde à la fois méconnu et fascinant : « Comment une banale chenille peut-elle engendrer un insecte aussi parfait orné de dessins multicolores ? Pour étudier ce phénomène, il fallait tuer, disséquer et examiner un insecte à chaque stade de sa transformation. Mais depuis peu, grâce aux techniques de l’imagerie médicale, des chercheurs ont ainsi pu scanner une chrysalide depuis sa formation jusqu’à la sortie de l’insecte. À l’intérieur, les organes se dissolvent en une sorte de bouillie, les tissus se reconstituent et vont se mettre en place selon des « plans » déjà inscrits dans le corps de la chenille. Et peu à peu, les nouvelles pièces du puzzle vont transparaître à travers l’enveloppe de la chrysalide : pattes, antennes, pièces buccales, ailes froissées…, peu avant l’émergence du papillon ».

 

Puis, après une visite de ses milieux naturels et aires de répartition, l’auteur expose les dangers que connaissent aujourd’hui ces frêles esquifs alifères et il expose conseils et mesures simples pour leur assurer quelques espaces de vie, afin que les générations futures puissent, elles aussi, connaître le bonheur de pouvoir admirer ces insectes pollinisateurs en train de voler d’un trèfle à l’autre ou de virevolter au milieu des massifs de fleurs, parmi les abeilles, les bourdons et autres insectes nectarivores. « Le constat est alarmant : la biodiversité, base de notre vie, ne cesse de diminuer en Suisse et dans le monde. Pour compenser en partie cette perte, les milieux urbains peuvent offrir une alternative intéressante. Si chaque propriétaire laissait une partie de son terrain en friche pour constituer un réseau dense, de nombreuses espèces végétales et animales revivraient autour des habitations. On peut toujours rêver… ».

 

Enfin, après un exposé sur la systématique et la classification des papillons, Jean-Claude Gerber présente, dans un ordonnancement clair, concis et précis, les protagonistes multicolores de son ouvrage en passant par les plus connus comme Le Machaon, L’Apollon, Le Citron, La Piéride du Chou, Le Vulcain, La Petite Tortue ou encore Le Paon de Jour, pour ne citer que ceux-là. À chaque lépidoptère correspondent six rubriques, i.e. description, biologie, vol et comportement, habitat, menaces et protection et, enfin, distribution, comprenant de superbes photos, aquarelles et dessins, le tout s’inscrivant dans un souci d’esthétisme et de didactique. À cet égard, impossible de ne pas mentionner le « cycle de vie exceptionnel » des Azurés myrmécophiles : la femelle de ces papillons pond ses œufs sur la plante-hôte ; la chenille éclose, elle se met à dévorer les étamines et ovaires de la plante puis, après quelques mues, «la petite chenille se laisse tomber au sol et, grâce à la sécrétion chimique qu’elle dégage, attire une fourmi rouge du genre Myrmica. Cette dernière l’adopte et l’amène dans sa fourmilière. Si une fourmi d’un autre genre la trouve, elle devient alors une proie. Et si aucune fourmi du genre Myrmica ne la repère, elle meurt de faim ». Une fois dans la fourmilière, changement de régime alimentaire : la chenille « dévore le couvain (œufs, larves) de son hôte ou se fait directement nourrir par les fourmis qui lui fournissent une bouillie régurgitée. À la fin de l’automne, en même temps que les fourmis, la chenille arrête son alimentation et hiberne. Au printemps, elle reprend ses activités et, parvenue à maturité au début de l’été, elle se chrysalide à quelques centimètres sous la surface du nid. Environ deux ou à trois semaines plus tard, le papillon éclot et regagne l’air libre rapidement avant de déployer ses ailes et de s’envoler ».

 

L’ouvrage de Jean-Claude Gerber, à la fois naturaliste, entomologiste, aquarelliste, photographe et dessinateur, est le résultat d’un prodigieux travail et il constitue un hymne à la nature et, plus particulièrement, aux papillons. En naturaliste soucieux des questions environnementales, il invite chacun à protéger et à favoriser la présence de ces bio-indicateurs ailés. Une ode de très belle facture, un hommage au papillon, « ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur (Jules Renard) ». À découvrir et/ou à faire découvrir.

 

Valérie DEBIEUX (2016)


NB :

Après « Faune et Flore au cœur du Jura » et « Champignons du Jura », Jean-Claude Gerber nous fait découvrir la beauté et la diversité des « Papillons du Jura ». Sa passion pour ces insectes fragiles a débuté voilà plus de 40 ans et il les présente ici dans toute leur splendeur sous forme d’aquarelles, de dessins et de photographies originales. La quasi-totalité des espèces de papillons de jour volant le long de la chaîne jurassienne est décrite et illustrée, avec un accent particulier pour le canton du Jura et le Jura bernois. Cet ouvrage de référence, fruit d’un travail minutieux, allie à la fois rigueur scientifique, contenu didactique et qualité iconographique. Accessible à tous, grâce à un souci constant de vulgarisation, il est l’indispensable outil d’information pour celui ou celle qui désire mieux connaître les papillons jurassiens et les menaces qui pèsent sur eux.


("Papillons du Jura", ©Jean-Claude Gerber, 368 pages, 2016)

Prix de l'Assemblée interjurassienne (2016).


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