"Les morts sont parmi les vivants, avec la peinture, il y a vraiment une communion d'esprit qui peut avoir lieu avec les voix chères qui se sont tues; ces voix chères, ce sont celles des artistes mêmes qui ont peint... [...] Par la peinture, on a l'impression que l'on peut communiquer avec tous les absents." ~Thomas Schlesser
N’y a-t-il pas quelque chose de profondément émouvant et poétique dans l’idée d’un grand-père qui, au lieu de suivre la thérapie préconisée par le médecin choisisse de soigner l’âme de sa petite-fille par la beauté intemporelle de l’art ?
« […] Mona avait bien failli perdre la vue […], il allait falloir qu’elle l’accompagne dans les musées. Si, par malheur, Mona devenait un jour aveugle à jamais, elle jouirait au moins d’une sorte de réservoir, au fond de son cerveau, où puiser des splendeurs visuelles. […] Une fois par semaine, selon un rituel immuable, il prendrait Mona par la main et l’emmènerait contempler une œuvre – une seule –, d’abord dans un long silence, pour que l’infini délice des couleurs et des lignes pénètre l’esprit de sa petite-fille, puis en mots, afin qu’elle dépasse le stade du ravissement visuel pour comprendre comment les artistes nous parlent de la vie, et combien ils l’éclairent. »
Dès lors, chaque mercredi, Henry et Mona traversent les portes du Louvre, ou du Musée d’Orsay ou de Beaubourg, prêts à plonger dans un océan de couleurs, de formes et de récits visuels. La complicité entre eux est palpable. Ensemble, ils découvrent une toile par semaine, prenant le temps de s’arrêter, de contempler, de ressentir. Henry glisse des histoires sur chaque œuvre, des anecdotes sur les artistes, transmettant non seulement ses connaissances, mais aussi sa passion pour l’art.
Pour Mona, ces moments sont une bouffée d’air pur, une évasion douce l’éloignant des soucis de santé qui l’affligent. L’art devient une fenêtre vers des mondes nouveaux, un miroir dans lequel elle peut voir la beauté de la vie malgré les épreuves. « Et puis Henry, qui citait volontiers ‘L’Art d’être grand-père’ de Victor Hugo, rappelait à qui voulait l’entendre un des principes cardinaux de la transmission : peu importe qu’on comprenne immédiatement tout ce que quelqu’un dit, comme s’il fallait que chaque nouveau mot soit déjà un arbre épanoui dans l’immense verger du cerveau. Les éclosions sauraient venir le jour dit, à condition d’avoir tracé des sillons et planté des graines. »
Le sourire émerveillé de la petite-fille, ses yeux brillants face à une toile de maître, sont le plus beau témoignage du pouvoir transformateur de l’art. Le grand-père, par son geste d’amour et de dévouement, crée un héritage immatériel inestimable. Il montre à sa petite-fille que la beauté peut guérir, que la culture peut être un baume pour les blessures invisibles. Ensemble, ils tissent des souvenirs impérissables, où chaque mercredi est une nouvelle page d’une histoire merveilleuse écrite à deux. Leur relation, nourrie par ces moments de découverte partagée, devient une ode à la transmission, à la joie simple mais profonde de communiquer ce qui est beau.
« - Dadé, qu’est-ce que je dis si papa et maman me demandent le nom du médecin que je suis allée voir ? - Dis-leur qu’il s’appelle le Dr Botticelli. »
Dédié à « tous les grands-parents du monde », ce grand roman initiatique à « l’art et à la vie » est un bijou à mettre entre toutes les mains. L’Art, qu’elle qu’en soit la forme, est souvent perçu de bien différentes manières. « Tot capita tot sensus », comme se plaît à le dire l’adage latin. L’Art est bien plus qu’un antidote à l’indifférence. Il est source de réflexion sur soi-même, les autres et sur le monde ; étranger aux contingences du temps, il n’a pas d’âge et il s’adresse à tous, jeunes et vieux. Par essence, il est un facteur d’universalité où chacun peut se retrouver, chercher un moment de paix et d’évasion. L’Art est aussi un chemin vers la beauté, chacun peut l’emprunter, nul besoin de formation particulière, le cœur suffit. Se plonger dans l’Art, c’est avoir le bonheur d’effectuer un voyage intérieur vers le pays de la beauté, afin de se ressourcer et de permettre à son âme de faire relâche.
Thomas Schlesser, historien de l’art, nous narre avec brio un récit solaire entre une petite-fille et son grand-père, dans un style vif et percutant. D’emblée, on s’attache aux personnages empreints d’une douce humanité. Au sortir de cette lecture, à n’en point douter, chacun sera heureux de se reconnecter aux plus grands peintres de tous les temps, et aura à nouveau l’envie de fréquenter les salles de musées afin d’apprécier les œuvres de Botticelli, Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, Titien, Watteau, Rembrandt, Vermeer, Poussin, Turner, Picasso, Cézanne, Van Gogh, Monet, Degas, Manet, Klimt… Enfin, au fil des pages, on apprend à se "laisser appeler" par une œuvre et celle-ci peut nous apprendre ou nous aider à vivre....
Valérie DEBIEUX (2024)
(Éditions Albin Michel, février 2024, 496 pages)
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