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Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

"La médiocratie", Alain Deneault


En sa dernière édition (2010), Le Dictionnaire historique de la langue française précise que l’adjectif médiocre est emprunté (1495) au latin mediocris « moyen du point de vue de la grandeur, de la qualité » et « ordinaire (de personnes et de choses) » (cf. op. cit.,  p. 1299). Au fil du temps, cet adjectif a pris de plus en plus d’importance dans la société contemporaine au point qu’il a donné naissance à un nom, la médiocratie, soit le pouvoir exercé par les médiocres. Quoi de plus naturel dès lors qu’Alain Deneault, docteur en philosophie de l'université Paris-VIII et enseignant en science politique à l'Université de Montréal, s’intéresse à ce fait social en lui consacrant un ouvrage de plus de deux cents pages, ayant pour titre « La Médiocratie ».

 

En ses premières lignes introductives, le ton est donné : « Rangez ces ouvrages compliqués, les livres comptables feront l'affaire. Ne soyez ni fier, ni spirituel, ni même à l'aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez vos passions, elles font peur. Surtout, aucune « bonne idée », la déchiqueteuse en est pleine. Ce regard perçant qui inquiète, dilatez-le, et décontractez vos lèvres – il faut penser mou et le montrer, parler de son moi en le réduisant à peu de chose : on doit pouvoir vous caser. Les temps ont changé.  Il n’y a eu aucune prise de la Bastille, rien de comparable à l’incendie du Reichstag, et l’Aurore n’a encore tiré aucun coup de feu. Pourtant, l’assaut a bel et bien été lancé et couronné de succès : les médiocres ont pris le pouvoir.

La principale compétence d’un médiocre ? Reconnaître un autre médiocre. Ensemble, ils organiseront des grattages de dos et des renvois d’ascenseur pour rendre puissant un clan qui va s’agrandissant, puisqu’ils auront tôt fait d’y attirer leurs semblables ».

 

En quatre chapitres au titre évocateur, i.e. « Le savoir et l’expertise, Le commerce et la finance, Culture et civilisation, La révolution : rendre révolu ce qui nuit à la chose commune », l’auteur explique, analyse, décortique, références et exemples à l’appui, comment « la division et l’industrialisation du travail – manuel comme intellectuel - ont largement contribué à l’avènement du pouvoir médiocre ». À travail standardisé, comportement standardisé avec, pour corrélats, une prestation et un résultat moyens, le tout noyé dans des expressions galvaudées comme « hauts standards de qualité » ou « dans le respect des valeurs d’excellence ». Le médiocre devient la norme du système, la référence, « l’analphabète secondaire » […] nouveau sujet formé sur mesure […] fort d’une connaissance utile qui n’enseigne toutefois pas à remettre en cause ses fondements idéologiques ». L’essentiel pour l’individu consiste alors à « jouer le jeu », c’est-à-dire à respecter « l’état de domination exercé par les modalités médiocres elles-mêmes » et à passer sous les fourches caudines du réseau dont il fait partie intégrante.

 

La Médiocratie, un ouvrage qui expose et qui conduit inter alia au questionnement sur notre société, ses institutions qu’elles soient politiques ou universitaires ou encore sur l’impact exercé par le dispositif industriel et financier sur les institutions universitaires. Un outil de réflexion à découvrir pour qui s’intéresse au monde qui l’entoure.



Valérie DEBIEUX (2015)

 

 

(Lux, octobre 2015, 224 pages)

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