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Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

"Imagine Claudine", Paul Fournel


Chamoison, de nos jours.

 

Ce petit village français, déserté par ses habitants, voit ses commerces disparaître peu à peu : la pharmacie a éteint ses lumières, la boulangerie a fermé ses portes et la charcuterie a rangé ses couteaux. Seule subsiste une petite épicerie... mais pour combien de temps encore ? Pour couronner le tout, un supermarché vient d’ouvrir à la sortie du village, non loin de Saint-Justin, la ville voisine. Cependant, l’ouverture de l’autoroute à proximité des deux localités pourrait sceller leur destin commun, tant sur le plan humain qu’urbanistique.

 

Et puis, il y a les habitants du village et de la ville, et, en particulier, l’une de ses figures emblématiques, Claudine Ferrachat, surnommée « la grosse Claudine » ou plus simplement «Claudine ». Elle réside à Chamoison et déteste la ville : « […] l’air que l’on y respire, le tapage des voitures, […], la hâte des gens qui se précipitent sur rien et qui bousculent le monde, les crottes des chiens, l’âme mauvaise des passants, les prix effroyables qu’on ne peut même pas discuter […]. » Profondément négative et méchante, Claudine a le verbe acéré, les paroles désagréables, et elle ne manque jamais une occasion de partager ses opinions tranchées. Son plaisir de l’anticonformisme s’exprime également avec force. Ainsi, lors de la marche blanche organisée en mémoire de l’accident survenu à Chamoison, un autocar coupé en deux par un train : « […] le village entier s’est vêtu de blanc pour faire une marche à travers les rues avec un arrêt au passage à niveau. Tout le monde porte un ticheurte par-dessus son pull ou sa veste, le boucher est en tablier, le curé en aube, le maire dans le costume blanc qu’il porte quand il va en croisière». Tous étaient en blanc, sauf Claudine qui, elle, « [était] en noir intégral ».

 

Parmi les autres personnages de cette fresque rurale, on trouve la veuve Wasserman qui, « […] depuis la mort de son mari, vivait seule avec son petit chien dans son garage pour ne pas salir la belle maison que son mari avait fait construire et meubler avant de disparaître ». Il y a aussi le grapheur qui, pour la quatrième fois, comparaît pour vandalisme devant le juge ; pris en flagrant délit, ce dernier lui suggère de céder sa porte de garage ornée de ses graffitis au musée d’Art moderne de la ville en lieu et place des huit mille euros d’amende. On ne saurait oublier « Le bon garçon », pour qui rien n’est plus facile que de ruiner sa mère, elle qui, « seule, assise à la table de la cuisine devant une tasse de café froid » attend la visite de son fils. « Elle ne dit rien et sa main sur ma main reste immobile. La main est déformée ; les articulations sont gonflées. La peau, tachée de mort, fait des plis et laisse ressortir le dessin des veines ». À chaque visite, il lui parle de ses difficultés financières : « […] Entre deux périodes, je fabrique du silence pour laisser s’enfoncer mon malheur dans sa chair ». […] Elle quitte ma main, se lève enfin, sans me lâcher du regard, elle ouvre le tiroir du buffet blanc, celui qui ferme à clef, elle fouille à l’aveugle et me tend une liasse de billets, sans doute préparée à l’avance ». Une fois, c’est le chauffe-eau de la douche ; une autre fois, c’est le renvoi injustifié de son poste de travail et, à chaque fois, de mensonge en tromperie, la mère remet au « bon garçon » une liasse de billets. Et ainsi de suite, jusqu’à la dernière, celle où « le bon garçon » glisse, jusqu’à l’étouffement, des petits gâteaux dans la bouche de sa mère. Mais, cette fois-ci, le tiroir est vide…

 

« Imagine Claudine » est un remarquable recueil de trente-trois nouvelles, à l’écriture sobre et percutante, qui décrit avec une précision chirurgicale un ensemble de personnages à l’aspect ordinaire. L’auteur dévoile leur vie cachée, celle qui se dissimule derrière les rideaux d’une fenêtre de maison ou dans l’ombre d’une rue mal éclairée. À lire absolument. 



Valérie DEBIEUX


(Éditions P.O.L., avril 2024, 208 pages)

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