1187. Esclarmonde est une jeune femme au caractère trempé mais : « […] de mon désir, nul ne s’en souciait » et c’est là un cri du cœur ! Cette damoiselle, promise à Lothaire, a osé dire non, le jour de son mariage ! Même l’archevêque s’en mêle et parle de miracle lorsqu’un agneau apparaît lors de la cérémonie. Esclarmonde se tranche l’oreille et, grâce à cette « apparition », elle devient la nouvelle « Agnès ». Son père ne peut aller contre son vœu et en habile architecte mais la peine au cœur, il va faire ériger une chapelle en pierre, dans le domaine des Murmures, obéissant ainsi à la volonté de Dieu ainsi qu’à celle de sa fille :
« Si Dieu lui réclamait sa seule fille vivante, c’était sans doute pour le punir de l’avoir trop aimée, trop bien gardée, trop regardée. Cette tendresse qu’il avait eue pour son enfant avait paru coupable ». L’histoire démarre par une haine sibylline et double de la part du père.
Esclarmonde a-t-elle fait le bon choix dans sa vie quand elle dit : « J’ai creusé ma foi pour m’évader et cette évasion passe par le reclusoir. N’est-ce pas étonnant ? » Elle s’aventure effectivement sur une voie dangereuse : « […] Entre le sommet et l’abîme, il n’y a qu’un pas et la chute menace ceux qui tentent de grimper, trop vite, trop haut. La chute ou le gibet » !
Si elle jouit d’un certain pouvoir, à raison de son succès, tant la horde de pèlerins ne désemplit pas devant sa fenestrelle, la voici bientôt plongée dans une situation étroite et délicate, en mettant au monde un enfant. Hérésie ou sainteté ?
« Je n’avais pas menti, je m’étais contentée de taire une vérité que personne n’avait envie d’entendre et mon silence avait offert un espace blanc à broder, un vide dont chacun s’était emparé avec délice ». Force est de constater qu’aucune personne n’est morte en ce domaine depuis le jour où la chapelle y a été construite. Mais pour combien de temps : «Le destrier fantôme n’a pas tardé à ressortir du lit de sa rivière pour brouter entre les tombes et galoper par le pays dans un bruit de tonnerre ».
Carole Martinez entraîne le lecteur avec finesse et cruauté, au fil du rasoir, sur une pente que l’on ne perçoit pas au départ, et jusqu’à la dernière ligne, on la lit « religieusement » et avec intérêt. Le propos est subtil et intelligent et l’on suit cette trame tel un enquêteur rivé sur la piste qu’il tente d’élucider et plus on y avance, plus on est étonné de ce que l’on apprend. La trame est menée de main de maître, accompagnée d’une délicate poésie, musicalité et sensualité. Rêveur, cruel, charnel et mystique, ce roman nous fait revivre le Moyen Âge dans toute sa splendeur. Comme si nous étions. « J’ai vu passer les siècles, l’histoire n’a jamais cessé de chambouler nos vies et les évidences sont infiniment fragiles ».
Valérie DEBIEUX (2011)
Prix Goncourt des Lycéens 2011
Prix Marcel-Aymé 2012
Prix des lecteurs des Écrivains du Sud 2012
Prix des lecteurs de Corse 2012
(Gallimard, août 2011, 208 pages)
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