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"Regrets sur ma vieille robe de chambre", Diderot

  • Photo du rédacteur: Valérie  DEBIEUX
    Valérie DEBIEUX
  • 29 mai 2024
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : 4 juin 2024


« Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât ; car l’indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. À présent, j’ai l’air d’un riche fainéant ; on ne sait qui je suis ».

Ainsi est-ce en ces termes que Diderot commence, l’ironie glissant sous sa plume, « l’éloge funèbre » de son ancienne robe de chambre, le glas d’un passé révolu. Enlevée, et sitôt remplacée. Disparue, mais jamais oubliée. Le neuf ne chasserait-t-il pas le vieux ? Que nenni. Le passé oppresse le présent.

Avec la disparition de son ancienne robe de chambre, un mode de vie s’en est allé. L’opulence a chassé la simplicité de la veille ; le fauteuil de maroquin, la chaise de paille et le secrétaire a rempli l’espace vacant, le tableau, le vide. Par la porte laissée entr’ouverte, la richesse n’est pas venue seule ; se glissant derrière ses pas, la nostalgie, discrètement, a envahi la demeure de l’auteur. « Je ne pleure pas, je ne soupire pas ; mais à chaque instant je dis : Maudit soit celui qui inventa l’art de donner du prix à l’étoffe commune en la teignant en écarlate ! Maudit soit le précieux vêtement que je révère ! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande ? ».

Plus grave encore que le regret, le rapport de Diderot à ce nouveau luxe, qui ne lui correspond pas. Sa relation aux choses a changé, son image également. « J’étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l’esclave de la nouvelle ». À ce jeu du changement pour le changement, de la nouveauté pour la nouveauté, à ce jeu où la seule dorure remplace le bon goût, le philosophe ne goûte guère : « Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l’atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l’opulence a sa gêne ».



Valérie DEBIEUX (2014)

 

 

(Éditions de l’éclat/éclats, novembre 2011, 48 pages)


Livre également disponible gratuitement sur Ebooks libres et gratuits

 

NB : Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune est un essai rédigé par Denis Diderot en 1768 et inséré l’année suivante dans la Correspondance littéraire. Il fut publié en volume en 1722 sans l’accord de l’auteur par Friedrich Ring dans une brochure petit in-8°, sans indication de lieu, mais sortant certainement d’une imprimerie suisse.

          L’écrivain avait rendu un service signalé à Marie-Thérèse Geoffrin, fameuse par le salon littéraire qu’elle tint avec tant de distinction. Pour lui témoigner sa reconnaissance, elle fit un jour déménager tous les pauvres meubles du philosophe et les remplaça par d’autres qui, quoique plus beaux et meilleurs, ne méritaient pas cependant, paraît-il, un éloge si pompeux. Le lecteur remarquera une admirable appréciation du talent du peintre Vernet. Le texte a parfois été considéré comme une introduction au Salon de 1769 (Wikipédia).

 
 
 

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