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  • Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

"Les fulgurances de Nicolas de Staël", Karin Müller


« Ton tableau a l’odeur d’un bouquet d’étoiles de chaleur. Tout s’y passe dedans comme le cœur et l’exigence, la difficulté de notre esprit et la simplicité de notre sensibilité ardemment le demandent. Il est beau et je le regarderai longtemps. […] Fraternellement ».

René Char à Nicolas de Staël (Carte postale du 8 avril 1952)

 

Né à St-Petersburg en 1914, Nicolas de Staël perd prématurément ses parents alors que ceux-ci se trouvent en exil, en Pologne, contraints de fuir la Révolution de 1917. Un couple de nationalité russe et d’origine sarde, les Fricero, l’adopte, en 1922, lui et ses deux sœurs. Vivant désormais à Bruxelles, il y fréquente musées et galeries. Il s’adonne à la lecture des poèmes de Rimbaud, Verlaine et Baudelaire, et goûte aux tragédies grecques, mais c’est vers la peinture qu’il s’oriente, malgré les réticences de son père adoptif, estimant qu’il fait fausse route. Nicolas de Staël suit sa voix intérieure, contre vents et marées, et il commence une formation de peintre. Juste après ses études, il entreprend un voyage en Espagne à vélo avec l’un de ses camarades, et pour sa survie il vend et échange quelques dessins et aquarelles.

En 1937, c’est la découverte du Maroc. Et, là, le coup de foudre. Non pas un, mais deux coups de foudre. Le premier pour le pays, le second pour Jeannine, la femme de sa vie, artiste-peintre elle aussi.

Année 1938, installation du couple à Naples, puis retour à Paris à la fin de l’hiver, la misère les accompagne. Puis survient la guerre. Année 1940, enrôlement dans La Légion étrangère et départ à Tunis, pour Nicolas de Staël ; à Nice pour Jeannine, santé oblige. Année 1941, démobilisation, retrouvailles à Nice. Année 1942, naissance de leur fille, Anne. Retour à Paris. Rencontres avec d’autres artistes. « Le Marché de l’art flambe dans la France occupée. […] Picasso est placé sous surveillance policière mais reste libre. Il est citoyen espagnol. Mais il n’a pas le droit d’exposer. Le cubisme est honni ». Les années se suivent, le manque d’argent les harcèle. Antek, le fils de Jeannine, publie un premier recueil de poèmes (tirage limité à cent exemplaires) et la reddition des comptes de ces ouvrages permettra de rembourser quelques impayés. Difficulté de vivre, difficulté de créer aussi. Le malheur guette.

Février 1946, Jeannine meurt. Une porte se ferme, une autre s’ouvre. Françoise. Le mariage suit, trois mois plus tard. « Nous nous sommes rapprochés pour le meilleur et pour le pire. C’est un défi à la vie et à la mort. Françoise est merveilleuse. J’ai besoin de bonheur. Je suis à nouveau amoureux. J’ai besoin d’une famille. Celle de Françoise m’adopte ».

Les années s’écoulent, difficiles. Au rythme des toiles, des amitiés perdues, des fréquentations nouvelles. Ponctuées successivement par la naissance de Laurence (1947), de Jérôme (1948) et Gustave (1954), son « portrait en miniature ». « Peindre est pour moi une cérémonie intime. J’additionne, je superpose de plus en plus de couches, j’aime que la toile garde toutes les traces successives, comme une mémoire des innombrables tentatives ensevelies sous d’autres couches ».

Au succès « confidentiel » en France succède le vrai succès, à New York, en 1953. « Maintenant l’argent coule à flots. Ça me déstabilise. Voilà. Maintenant, j’ai une cote. Je ne suis pas vraiment riche mais je n’ai plus de problèmes d’argent. Je dis à George Braque que je ne supporte pas ce mercantilisme et sa femme me répond : “Vous avez raison Staël, faites attention. Vous avez résisté à la pauvreté, soyez assez fort pour résister à la richesse”. Je continue à travailler des toiles immenses. Je suis au sommet de mon art. Plus rien ne me fait peur. Je me sens invincible ».

Année 1954, nouveau coup de foudre. Jeanne, sa nouvelle passion. Elle a pris possession de son être. Trop attachée à sa famille, Jeanne refuse de la quitter. Lui ne peut plus vivre avec Françoise et il s’installe à Antibes. Il travaille, change de technique, il abandonne les pâtes épaisses pour la dilution des couleurs, il peint encore et encore. Puis, fin de l’année, il s’isole, l’absence de Jeanne le consume. Et, un soir de mars 1955, il part rejoindre Jeannine, celle qu’il a tant aimée.

Dans cette remarquable biographie, Karin Müller réussit le délicat exercice de retracer la vie du peintre, en y exposant, par strates superposées, là son approche de la peinture et sa technique, ici son tracé sentimental, ailleurs encore les difficultés de son existence, peu à peu diluées par le succès. L’idée de recourir à l’utilisation du « je » rapproche le lecteur de Nicolas de Staël, jusqu’à le happer dans son univers et son quotidien. Au final, un récit touchant, empli d’humanité, au rythme soutenu, au contenu bref et percutant.


Valérie DEBIEUX

(Éditions Guéna, septembre 2011, 87 pages)

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