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Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

"Le Grand Meaulnes", entretien avec Bernard Capo (2013)

Henri Alban Fournier dit Alain-Fournier, éconduit du Prix Goncourt en 1913, a écrit l’une des œuvres majeures du XXe siècle, classée à la neuvième place des cent meilleurs livres de son siècle. Bernard Capo a eu l’audace et le courage de présenter son projet à Mme Agathe Rivière Corre, et il a eu raison : le résultat est magnifique.

Le Grand Meaulnes, unique roman d’Alain-Fournier, fête cette année le centenaire de sa publication (2013). Ce roman, véritable lieu de mémoire, a été écrit pendant huit longues années de labeur et il est aujourd’hui le livre le plus vendu sous format de poche.

 

*

 

Valérie Debieux : Bernard Capo, vous êtes passionné par l’œuvre d’Alain-Fournier. Quand avez-lu pour la première fois « Le Grand Meaulnes » et quel souvenir conservez-vous de cette première lecture ?

 

Bernard Capo : Mon premier souvenir remonte à l’école primaire. J’adorais les livres de lecture pour leurs illustrations en couleurs dues à de très bons dessinateurs (René Follet par exemple), et je me souviens du dessin qui accompagnait un extrait du Grand Meaulnes, « le cirque ». Puis c’est au lycée (nommé Alain-Fournier !) de Bourges – on ne disait pas collège à l’époque –, en 5ème je crois, que la lecture de ce roman faisait partie du programme. J’ai de suite adoré, car de nature timide et rêveuse je me suis projeté dans le personnage de François Seurel.

 

 

Valérie Debieux : Comment et quand est née votre idée d’adapter en bande dessinée cette œuvre magistrale ?

 

Bernard Capo : C’est une longue histoire ! En 1966 – j’avais 16 ans – le cinéaste Jean Gabriel Albicocco est venu à Bourges tourner le film du Grand Meaulnes. Je me suis précipité au casting et chance ! J’ai été choisi pour jouer le rôle d’un camarade de classe d’Augustin avec qui il se bagarre ! Mes rêves se sont écroulés quand mes parents ont refusé que je rate les cours pour tourner. En fait, quand j’ai débuté dans la BD, il y a 25 ans, j’ai immédiatement eu le projet d’adapter le roman, de prendre en quelque sorte ma revanche en tournant mon propre film.

 

 

Valérie Debieux : Quelle a été la réaction des descendants d’Alain-Fournier lorsque vous leur avez présenté votre projet d’adaptation ?

 

Bernard Capo : Ah ! Pendant plus de 20 ans, en réponse à mes courriers réguliers, j’ai eu droit à un refus poli mais catégorique, laissant entendre que « Littérature et petits mickeys » n’avaient rien à faire ensemble. Et puis il y a deux ans, Alain Rivière, le neveu et ayant-droit d’Alain-Fournier, a passé le relais à sa fille Agathe que j’ai eu la chance et le plaisir de rencontrer : elle est bédéphile, elle connaissait déjà mes autres albums, ce fut donc de sa part un oui total et immédiat qui m’a permis enfin de me lancer dans la grande aventure de l’adaptation.

 

 

Valérie Debieux : Votre adaptation dénote un immense respect à l’endroit de l’œuvre d’Alain-Fournier. Ainsi, le souci du détail se retrouve à chaque page. Combien de temps avez-vous consacré à la préparation de cet ouvrage ainsi qu’à sa confection ?

 

Bernard Capo : Je crois que cette adaptation était déjà fin prête dans ma tête depuis toutes ces années à espérer. J’avais travaillé sur un découpage de 48 pages, j’avais déjà fait le choix des textes à conserver, j’avais déjà toute une collection de photos-repérages et de documents, et puis étant « chèrois » de naissance (habitant du département du Cher), je connaissais tous les lieux et tous les paysages où avait vécu Henri et qu’il a décrits fidèlement dans son roman.

 

 

Valérie Debieux : Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de votre technique ou approche de travail ?

 

Bernard Capo : Ce qui m’importait avant tout, c’était d’être totalement fidèle au roman : tous les mots dans la BD sont ceux du roman, au point-virgule près. La seule liberté que je me suis permise est de faire narrer la fête étrange par Augustin Meaulnes lui-même à la première personne, et non pas par François. La complexité de cette œuvre, c’était de transcrire en dessin des sentiments, des sensations, des états d’âme, chose fort difficile. J’ai contourné le problème en m’appuyant surtout sur les décors de mon Berry natal tels qu’ils existaient fin XIXe… et qui n’ont pas vraiment changé aujourd’hui !

 

 

Valérie Debieux : Comment s’y prend-on pour adapter une œuvre littéraire en bande dessinée ?

 

Bernard Capo : D’abord lire et relire pour s’en imprégner, la visionner comme un film dans sa tête, créer les personnages tels qu’ils sont décrits ou tels que vous pensez qu’ils peuvent être, choisir le texte (dans la BD ce sont surtout les dialogues qui importent), mais aussi les cartouches descriptives nécessaires à la compréhension de l’histoire, ou des lieux, ou du temps qu’il fait (Alain-Fournier était très pointilleux sur ce sujet). Ensuite se lancer dans ce travail pharaonique qu’est la création d’une BD) et puis… oser affronter les critiques de tous les fans du Grand Meaulnes ! Je vous rassure, elles furent en majorité très élogieuses !

 

 

Valérie Debieux : Vous avez également adapté « Les Misérables » de Victor Hugo. Existe-t-il une différence entre l’adaptation de ces deux œuvres ?

 

Bernard Capo : Énorme ! À part le fait que Les Misérables font 3000 pages et plus, et le Grand Meaulnes environ 300, c’est surtout l’histoire qui fait la différence. Les Misérables, c’est un grand roman de cape et d’épée, une épopée lyrique vécue par plusieurs personnages, avec un côté complètement cinématographique (qui a permis d’ailleurs la réalisation de dizaines de versions filmées) ; Le Grand Meaulnes au contraire est une histoire basée sur les sentiments, l’introspection, le rêve, des choses intangibles difficiles à reproduire en réalité visuelle.

Par contre la vraie ressemblance, c’est la beauté de l’écriture de Victor Hugo et d’Alain-Fournier, si proches de l’écriture poétique que j’aime tant.

 

 

Valérie Debieux : Avez-vous d’autres projets en vue ou en cours ?

 

Bernard Capo : En vue, des dizaines ! En cours, je termine une sorte de « biopic » sur une figure artistique de ma ville de Bourges, qui me change complètement du genre adaptation. Car dans la création, ce qui est intéressant, c’est de se renouveler sans cesse, de toucher à différents genres, en un mot de se cultiver !

 

 

Valérie Debieux : Je vous laisse le mot de la fin…

 

Bernard Capo : La réalisation de l’adaptation du Grand Meaulnes fut pour moi comme une ascension sur l’Everest pour un alpiniste, « pour atteindre l’inaccessible étoile », comme chantait Brel, au point que je projetais d’arrêter la BD. Et puis… que mes amis lecteurs se rassurent… je continue !

 

Entretien mené en 2013 par Valérie DEBIEUX


("Le Grand Meaulnes" est malheureusement indisponible aujourd'hui.)


En 2020, Bernard Capo a sorti une nouvelle BD "Signé Alain-Fournier". ©Photo D.R.


En espérant que celle-ci soit bientôt à nouveau disponible...

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2 comentarios


Valérie  DEBIEUX
Valérie DEBIEUX
02 oct

Merci beaucoup ! Je partage totalement votre sentiment sur Le Grand Meaulnes. C’est fascinant comme ce roman parvient à être à la fois accessible et d’une profondeur insondable. On pourrait le relire encore et encore, et toujours découvrir quelque chose de nouveau.

Quant à la recette pour créer un classique… si seulement elle existait en effet ! Mais peut-être est-ce justement ce mystère qui fait la beauté de certaines œuvres : elles naissent au croisement d’une vérité universelle et d’une sensibilité unique.

Dommage pour la bande dessinée, mais qui sait, peut-être qu'elle refera surface un jour ?

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Raymond Delley
Raymond Delley
02 oct

Magnifique ! Je ne savais pas que cette bande dessinée existait. Quelle déception de lire qu'elle n'est plus disponible ! Comme je le raconte dans Comment je suis devenu écrivain, Le Grand Meaulnes a été pour moi la découverte de la littérature. C'est un livre à la fois tellement évident, et pourtant inépuisable. C'est l'exemple même du livre qui devient un classique. Quelle est la recette ? Si seulement on la connaissait !

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