« Albert Camus, le héros de ce Combat pour la gloire, n’a jamais écrit une seule ligne de ce récit. J’ai pris sa peau et sa voix pour lui rendre hommage, et le coucher sur papier par la plume de son vrai stylo Parker – que Catherine Camus m’a fait l’honneur de m’offrir au soir de la première des neuf cent soixante-trois représentations de La Peste. […] Vous allez donc lire ou plutôt entendre, ce que j’ai noté non pas à sa place, mais en place de lui. Ici. Sur les planches du théâtre. Le lieu du monde où il a été le plus heureux. Là où il sera, à jamais, vivant. Pour que vous puissiez enfin partager avec lui, par l’au-delà, son combat pour la gloire ». - Francis Huster
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Valérie Debieux : Francis Huster, vous venez de rendre un magnifique hommage à Albert Camus en écrivant « Albert Camus, un combat pour la gloire ». A quand remonte votre passion pour l’œuvre de Camus ?
Francis Huster : Comme jeune étudiant vers 14 ans j’avais choisi mon camp : Camus. Les Sartriens étaient légion. J’ai retrouvé Camus comme comédien grâce à Jean-Louis Barrault qui m’a demandé de monter et jouer « La Peste ». Camus auteur dramatique de génie, pur et digne.
Valérie Debieux : Vous avez écrit ce roman avec la véritable plume Parker de l’auteur. Il est plutôt singulier de prendre la parole en place d’un écrivain, et de surcroît, avec sa vraie plume. Avez-vous eu parfois le sentiment que Camus vous a guidé, de façon invisible, tout au long de l’écriture de ce récit ?
Francis Huster : Camus a guidé toute ma vie. D’homme et d’acteur. Au cinéma les héros parlent non ? Lincoln, César, Napoléon, Jésus-Christ, Lawrence d’Arabie, tous, Camus lui-même dans les téléfilms récents. Alors pourquoi pas dans un livre ? Surtout quand je me suis appuyé sur ceux qui ont croisé l’homme et sa vie, comme la mienne.
Valérie Debieux : Quand on joue une pièce, comme « La Peste », pendant plus de neuf cents représentations, et ce, de façon échelonnée sur le temps, est-ce que votre mode de l’interpréter, au fil des ans, a changé depuis sa création en 1989 ?
Francis Huster : Oui et non. Oui dans le fond. Non dans la forme. On joue la Peste avec ses tripes et à l’instinct. Mais le public y voyait autre chose. En 1980 la Peste c’était le Sida. En 2000 la chute du communisme. Aujourd’hui le terrorisme.
Valérie Debieux : Vous dites : « Lire Camus, c’est lire la voix d’un Homme ». Que souhaitez-vous transmettre à tous les jeunes lecteurs et lectrices d’aujourd’hui qui n’ont pas encore découvert l’œuvre d’Albert Camus en cette année de jubilé, célébrant le centenaire de sa naissance le 7 novembre prochain ?
Francis Huster : Le message de Camus est universel : la tolérance et la dignité. La tolérance de l’autre donc sa compréhension. La dignité d’homme donc ne jamais baisser les bras et rester debout jusqu’au bout, se relever de tous les drames de la vie.
Valérie Debieux : Albert Camus s’est énormément impliqué pour l’Humanité et les Hommes. Selon les termes de sa fille, c’était un être généreux, proche des gens, très ouvert, chaleureux, qui ne lâchait jamais personne. Et pourtant, un jour de tristesse, il avait déclaré à sa fille, Catherine Camus : « Je me sens seul ». Ce fut un homme à la fois « solidaire et solitaire » comme le définit sa fille. Vous qui avez tourné « La Peste », seul sur scène, à travers le monde, devant près d’un million de spectateurs, est-ce que la solitude est un moteur pour vous ?
Francis Huster : Oui. Evidemment. L’artiste doit être seul. Pour que les autres ne le soient plus. Et que l’art leur apporte cette union des âmes qui est la joie de ce métier. Le public est notre vraie récompense. Avant tout.
Valérie Debieux : Vous évoquez très souvent Jean-Louis Barrault. Que vous a-t-il transmis et quel souvenir conservez-vous de lui ?
Francis Huster : Tout. Ou presque. « Huster mon frère, Huster mon fils ! ». Je pense qu’il a été pour moi ce que Jouvet fut pour lui. Un maître et un père. Pierre Dux et François Florent, Raymond Rouleau et Antoine Vitez, mes oncles !!
Valérie Debieux : Avez-vous assouvi tous vos rêves dans le domaine du théâtre ou subsiste-t-il, en votre for intérieur, un rôle que vous aimeriez interpréter, ou une pièce que vous souhaiteriez mettre en scène, voire l’une de vos créations originales ?
Francis Huster : Deux rêves. Arturo Toscanini. Éric-Emmanuel Schmitt. Les réunir en une pièce… Et des héros shakespeariens comme Marc-Antoine ou Brutus.
Valérie Debieux : Vous incarnez actuellement le rôle d’un prêtre dans « L’Affrontement » au Théâtre Rive Gauche à Paris. Pièce écrite par Bill C. Davis, adaptée par Jean et Dominique Piat, elle permet de soulever des questions de nature profonde et imminente à régler au sein de l’Eglise. Que l’on soit religieux ou non, pratiquant ou non, nombreux sont les catholiques qui souhaiteraient que leur Eglise subisse des réformes, que celles-ci portent sur le rite, le mariage des prêtres ou encore l’extension de la pratique du sacerdoce aux femmes. Quelle est votre perception du Pape actuel ?
Francis Huster : François est le Pape de l’avenir comme Kennedy fut pour l’Amérique le Président de l’avenir. Son destin sera moins tragique j’espère mais tout aussi éblouissant.
Valérie Debieux : L’engouement des hommes de lettres pour le foot n’est pas nouveau. Albert Camus était passionné par ce sport, et dans la foulée, des écrivains tels que Blaise Cendrars, Vladimir Nabokov, Rainer Maria Rilke, Léon-Paul Fargue, Paul Vialar, Denis de Rougemont, pour ne citer que ceux-ci, ont consacré des textes sur le ballon rond. Le football est à l’image de la vie, c’est une école de ténacité, d’espoir, de loyauté et de solidarité. Jean Giraudoux disait : « L’équipe donne à la balle le moteur de onze malices et onze imaginations ». Je trouve cela très beau. Il paraîtrait même qu’en Amérique latine, onze dramaturges viennent de former une équipe de football. Francis Huster, vous qui êtes un fervent supporter du PSG, à quand une équipe de football composée uniquement de dramaturges français dont vous faites partie ?
Francis Huster : L’équipe des dramaturges est déjà là depuis longtemps ! Shakespeare capitaine. Racine Tchekhov Corneille en défense. Marivaux Beaumarchais au centre et à l’avant les fous géniaux Guitry Giraudoux Pirandello Camus et Molière !!! Mais la relève est là déjà ! Schmitt, Reza, Zeller et les autres !!
Valérie Debieux : Je vous laisse le mot de la fin…
Francis Huster : La vie est si courte ! Alors ne la partagez qu’avec ceux qui sont des êtres d’amour et de lumière et qui vous forcent à donner le meilleur de vous-même ! Le jeune Steve Suissa avec Anne Frank, Bronx et l’Affrontement m’a amené à donner le meilleur de moi sur scène. Pour servir un Giraudoux d’aujourd’hui, Éric-Emmanuel Schmitt. Et partager ce plaisir avec des comédiens divins au Théâtre Rive Gauche (Davy Sardou, Roxane Duran, Gaïa Weiss, Odile Cohen, Katia Miran, Alice Carel, etc…) ou des musiciens et chanteurs superbes (La Flûte enchantée pour Opéra en plein air). Je conseille à tous mes amis de faire comme moi, confiance à un metteur en scène aussi jeune et fougueux, énergique et inspiré. Merci à lui ! Et à Éric-Emmanuel Schmitt. Et de la même façon à la jeune équipe du Passeur qui m’a fait confiance pour ce Camus !
Entretien mené par Valérie DEBIEUX (mai 2013)
Le 6 mai 2024, lors de la 35e cérémonie des Molières, Francis Huster a reçu un « Molière d'honneur » pour l'ensemble de sa carrière et a rendu un hommage vibrant au dramaturge : « Ce qui prévaut au théâtre, ce ne sont pas les auteurs qui font de l’esprit, mais ceux qui nous en donnent. Molière nous a offert l’insolence, cette braise de révolte qui ne cessera de brûler en nous. Il a su trouver la clé pour ouvrir les portes de notre âme. Avec le rire, nous entendons battre son cœur en notre cœur. Molière, quand la jeunesse l’écoute, est de ces artistes qui grandissent l’âme. Rien ne résiste au rire, car lui résiste à tout. C’est Poquelin qu’on a assassiné. On a jeté son cadavre aux chiens pour qu’ils le dévorent. Mais Molière, lui, le comédien, leur a échappé. Molière vit dans son œuvre pour l’éternité. Le faire renaître à chaque fois est votre fierté, quand le vent du public nous fait frémir parce que grâce à lui, nous le faisons rêver. Molière a toujours pensé en sens interdit. Il ne s’est jamais arrêté au stop, aux conventions, infligeant à ses héros, tous des monstres, des blessures par vers. Molière a fait de nous des êtres d’amour, admirant les vraies héroïnes de ses pièces : Agnès, Elmire, Elvire, Armande, Célimène, Dorimène, Toinette, Nicole, Dorine refusant de se soumettre, osant dénoncer et triompher de ces lâches ! Tartuffe, violeur, hypocrite ; Orgon, Dandin : maniaques ; Harpagon, avare pervers ; Jourdain : obsédé par le fric et le sexe ; Arnolphe : prédateur pédophile ; Argan : détraqué ; et jusqu’à Dom Juan, tueur sans remords. Il a ouvert la voie aux femmes. J’ai tenté parfois, avec mes excès, mes emportements, perdu dans les labyrinthes de ma passion pour toi, d’être un des passeurs à la folie de ce témoin que tu nous as légué. Ton œuvre, on doit la protéger. On doit l’offrir au plus grand nombre, la servir avec l’humilité qu’elle impose. Comme toi, j’ai essayé de ne rien imiter, de ne rien accepter de contraire à nos convictions, ne rien subir, et, surtout, car ce serait la plus belle épitaphe : Ne jamais rien regretter. »
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