« Les traducteurs sont comme les peintres de portraits ; ils peuvent embellir la copie, mais elle doit toujours ressembler à l’original ». - Elie Fréron
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Valérie Debieux : Gianfranco, vous êtes à la fois écrivain et traducteur. La littérature française vous passionne, tout autant que la poésie, puisque vous avez ainsi consacré un ouvrage sur Georges Brassens (Georges Brassens : Una Cattiva Reputazione). Vous aimez notre langue. Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans ce travail de traduction qui demande persévérance et adaptabilité ?
Gianfranco Brevetto : Ognuno di noi ha dentro di sé un’altra lingua nella quale avrebbe voluto esprimersi, una sorta di lingua dell’anima, dei sogni, dei sentimenti. Il francese è per me la lingua che mi permette di andare oltre i significati che normalmente riesco ad esprimere. Certo non basta amare una lingua per essere traduttore, occorre un lungo lavoro a tavolino. A volte mi capita di svegliarmi la notte perchè finalmente ho trovato la parola adatta, l’espressione che mi mancava.
Chacun de nous a en lui une autre langue dans laquelle il aurait souhaité parler, une sorte de langage de l’âme, des rêves, des sentiments. Le français est pour moi la langue qui me permet d’aller au-delà des sens ou significations qui s’expriment ordinairement. Bien entendu, il ne suffit certainement pas d’aimer une langue pour être traducteur car la traduction est une activité de longue haleine qui exige de s’installer longuement à sa petite table de travail. Il m’arrive de me lever la nuit parce que j’ai enfin trouvé le mot juste ou l’expression qui me manquait.
Valérie Debieux : Vous avez traduit deux ouvrages écrits par Emmanuel Bove, La Coalition et Le Pressentiment. Comment êtes-vous passé à la traduction ?
Gianfranco Brevetto : Emmanuel Bove è uno dei maggiori scrittori del novecento francese. Spesso dimenticato. La sua capacità narrativa, il suo uso della lingua, anticipano e per molti versi completano il quadro dell’intero novecento letterario francese. Avevo già letto alcuni di libri di Bove come Mes Amise Armand, prima di passare alla sua traduzione. Quando mi è stato proposto di tradurre questi due testi fondamentali non ci ho pensato due volte. Quella della traduzione è un’esperienza unica e irripetibile, piena di responsabilità.
Emmanuel Bove est un des écrivains majeurs du XXe siècle français, souvent oublié. Sa capacité narrative, son usage novateur de la langue ainsi que ses vers font partie intégrante, pour beaucoup, du tableau de la littérature française des années 1900. J’avais déjà lu quelques livres de Bove comme Mes Amis et Armand, avant de passer à sa traduction. Quand on m’a demandé de traduire ces deux textes fondamentaux, je n’ai pas réfléchi longtemps. Cette traduction est une expérience unique, chargée de responsabilité.
Valérie Debieux : Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles se heurte un traducteur ? Et pouvez-vous nous raconter une anecdote à ce sujet ?
Gianfranco Brevetto : Come dicevo, tradurre è un grande atto di responsabilità. Mi ha fatto molto riflettere il fatto che Bove avrebbe parlato in Italia attraverso la mia scrittura. Io sarei stato la voce di Emmanuel Bove. Tradurre non è solo una questione grammaticale o di sintassi, occorre riprodurre il senso. L’errore è sempre in agguato. Occorre essere fedeli all’autore più che al testo. Di aneddoti ce ne sono tanti, molte volte dovuti anche alla stanchezza quando si passano diverse ore sulla tastiera. Nel caso di Bove, e mi riferisco a La Coalition, vi sono stati alcuni passi che mi hanno condotto a tradurre termini che si riferivano a tecniche chirurgiche o prodotti commerciali dei primi anni del novecento. Sono dovuto ricorrere a specialisti del campo che mi hanno indirizzato verso ricerche che all’inizio non avevano nulla di linguistico o letterario.
Comme je l’ai dit, la traduction est un grand acte de responsabilité. Cela m’a fait beaucoup réfléchir quant à l’idée que l’écriture de Bove passerait par la mienne. Je devenais ainsi la voix d’Emmanuel Bove. Traduire n’est pas seulement une question de grammaire ou de syntaxe, vous devez en reproduire le sens ou le contexte. L’erreur est toujours présente. On doit être fidèle à l’esprit de l’auteur, ainsi, la traduction va au-delà qu’une simple traduction de mots dans un texte. Des anecdotes, il y en a souvent beaucoup, et ce, en raison de la fatigue, surtout lorsque vous passez plusieurs heures sur le clavier. Dans le cas de Bove, et je me réfère à La Coalition, il y a eu quelques étapes qui m’ont amené à traduire des termes liés à des techniques chirurgicales ou à des produits commerciaux des années 1900. J’ai ainsi dû recourir à des spécialistes en ce domaine et effectuer toute une série de recherches à ce propos. On peut dire qu’au début, il n’y avait vraiment rien de linguistique ou de littéraire.
Valérie Debieux : Que faites-vous quand vous tombez sur une expression que l’on ne peut pas traduire ?
Gianfranco Brevetto : Non tutto è traducibile, almeno non tutto è traducibile alla lettera. Allora occorre ricorrere ad una parola o un’espressione che sia equivalente, che si avvicini molto al senso originale. Ma anche questo non è sempre possibile, allora preferisco lasciarlo in francese oppure aggiungere una nota del traduttore. A questi espedienti, però, si può ricorrere poche volte, il rischio è quello di appesantire il testo. Non è detto che occorra tradurre ad ogni costo. L’importante è rispettare il testo originale.
Tout n’est pas traduisible, du moins, tout ne l’est pas de façon littérale. Ensuite, il est nécessaire de recourir à un mot ou à une expression équivalente qui se rapproche de la signification originale. Mais parfois, même cela n’est toujours pas possible, aussi je préfère laisser en français ou ajouter une note de traducteur. Si toutefois ces dispositions peuvent être utilisées à réitérées reprises, le risque encouru serait d’en alourdir le texte. Par conséquent, il n’est ni besoin ni nécessaire de tout traduire, à tout prix. Le plus important consiste à respecter le texte original.
Valérie Debieux : Quand on traduit une œuvre littéraire, pour vous, est-il nécessaire d’être imprégné de l’œuvre de l’écrivain que vous traduisez ou, bien au contraire, pouvez-vous traduire un auteur dont vous ne savez rien ou peu ?
Gianfranco Brevetto : Essere traduttore mi ha permesso di trascorrere molto tempo in compagnia di grandi autori. Un rapporto unico, una sorta di dialogo attraverso la scrittura e la lingua. Essere traduttore, vuol dire predisporsi ad un lavoro di piccolo artigianato, occorre essere concentrati sull’oggetto che vogliamo tradurre. Predisporsi a rinunciare a molto di se stessi per aprirsi all’autore che andiamo a tradurre e alla sua lingua. Sì perchè tradurre vuol dire in primo luogo amare la lingua. Ma anche entrare in simbiosi con l’autore che si traduce, imparare, per quanto possibile, a pensare con lui.
Être traducteur m’a permis de passer beaucoup de temps en compagnie de grands auteurs. Une relation unique, un dialogue à travers l’écriture et la langue. Pour un traducteur, cela signifie être prêt à travailler comme un artisan, en prenant le temps et le soin de se concentrer sur l’objet à traduire. Être prêt à donner une grande partie de soi-même, à s’ouvrir à l’auteur que l’on traduit ainsi qu’à sa langue. Oui, en tout premier lieu, compte l’amour de la langue. Mais cela signifie aussi entrer en symbiose avec l’auteur et apprendre, autant que possible, à penser avec et comme lui.
Valérie Debieux : Quels sont les auteurs français que vous avez envie de traduire ?
Gianfranco Brevetto : Io penso che Modiano, a noi contemporaneo, potrebbe esser un autore con il quale potrei avere molte affinità. Si mi piacerebbe tradurlo. Come per esempio mi piacerebbe tradurre anche molti bravi scrittori che appartengono alla letteratura francofona del magreb.
Je pense que Modiano, notre contemporain, pourrait être un auteur avec qui j’ai beaucoup d’affinités. Oui, je tiens à le traduire, ainsi que, par exemple, de nombreux bons écrivains qui appartiennent à la littérature francophone du Maghreb.
Valérie Debieux : Quelle est votre bibliothèque idéale et quelles sont vos influences littéraires ?
Gianfranco Brevetto : Certamente il novecento francese o di lingua francese. Due autori sono quelli che maggiormente mi hanno influenzato : Albert Camus e Georges Simenon. Camus certamente per il sentimento di estraneità e di assurdo. Devo molto a Simenon, per la tecnica letteraria, per la capacità di costruire storie popolate da gente semplice, les petites gens. Simenon ha dato dignità a questi personaggi, sono loro i grandi attori della modernità.
Certainement tous les auteurs de langue française du XXe siècle. Les deux auteurs de la langue française qui m’ont le plus influencé sont Albert Camus et Georges Simenon. Camus certainement pour le sentiment d’aliénation et de l’absurdité. Je dois beaucoup à Simenon, pour la technique littéraire, la capacité à construire des histoires peuplées de gens simples, « les petites gens » comme on dit. Simenon a donné de la dignité à ces personnages, ils sont les grands acteurs de la modernité.
Valérie Debieux : A quand remonte votre passion pour la langue de Molière ?
Gianfranco Brevetto : Quando ero bambino mi piaceva curiosare tra il libri di mio padre. Una volta trovai un libro, una grammatica francese degli anni ‘40. Dentro c’era un foglietto sul quale mio padre aveva annotato una domanda : « où suis-je ? » Pensai che quella lingua. Il francese, fosse la lingua dell’essere, dell’essere nel tempo e nel luogo.
Lorsque j’étais enfant, j’aimais naviguer à travers les livres de mon père. Une fois, j’ai trouvé un livre, une grammaire française des années 40 et à l’intérieur s’y trouvait un morceau de papier sur lequel mon père avait griffonné une question : « Où suis-je ? ». Je pensais que cette langue, le français, c’était la langue de l’être, de l’être dans le temps et dans le lieu.
Valérie Debieux : Quel est le premier roman français que vous avez lu, dans sa version originale ?
Gianfranco Brevetto : Il primo romanzo che mi è capitato tra le mani in lingua orgininale è unBonjour Tristesse di Françoise Sagan. Mi piaceva l’idea di questa ragazza ribelle che, alla ricerca dell’emancipazione e dell’indipendenza anche a costo di metteresi in discussione. Quella di Sagan è stata una buona palestra, si tratta di una scrittura semplice. L’ho letto quando anche io ero un adolescente e quindi mi ritrovavo nel suo modo di descrivere i sentimenti di quell’età.
Le premier roman français que j’ai lu, dans sa version originale, est Bonjour Tristesse de Françoise Sagan. J’ai aimé l’idée de cette jeune fille rebelle, en quête d’émancipation et d’indépendance et me fondre dans sa discussion. Commencer avec un ouvrage de Sagan fut, pour moi, un bon entraînement, c’est une écriture simple. Je l’ai lu quand j’étais adolescent et je me suis ainsi retrouvé dans sa façon de décrire les sentiments correspondant à cet âge-là.
Valérie Debieux : Je vous laisse le mot de la fin…
Gianfranco Brevetto : Un’altra lingua, che non è tua dalla nascita, ti costringe a scavare dentro di te, a confrontarti con chi avresti voluto essere. Tradurre vuol dire lasciare le proprie certezze, aprirsi ad una panoplia di sensi e di significati. Ritrovarsi alla fine di questo viaggio, fatto di molti dubbi e di certezze è uno delle più grandi esperienze che si possano fare nel campo della conoscenza.
Une langue autre que maternelle vous contraint à creuser à l’intérieur de vous-même, à vous confronter avec celui que vous auriez voulu être. Traduire signifie aussi d’oublier ses propres certitudes pour laisser l’ouverture à une multitude de sens et de significations. À la fin de ce voyage, vous avez rendez-vous avec un mélange de doutes et de certitudes qui font de la traduction, l’une des plus belles expériences à vivre dans le domaine de la connaissance.
Entretien mené par Valérie DEBIEUX (mars 2013)
Gianfranco Brevetto, diplômé en sociologie et en journalisme, a enseigné aux universités de Naples et de Pise. Il a publié de nombreux ouvrages. Il a été le créateur et l’éditeur des volumes Albert Camus. Méditerranée et savoir (2003) et Georges Brassens. Une mauvaise réputation (2007). Il a traduit du français : Maurice Halbwachs, I quadri sociali della memoria (1997), Pascal Bruckner, La tentazione dell'innocenza (2001), Emmanuel Bove, La Coalizione (2011) et Emmanuel Bove, Il Presentimento (2012). Il a rédigé la préface du volume de Primavera Fisogni, Vers le Néant. L’expérience du vide entre le réel et le numérique (2020). Il est rédacteur en chef de la revue « Exagere » depuis 2016.
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