La vie de Matisse est aussi colorée que ses tableaux, riche et diverse que sa fameuse collection d’étoffes. Son existence fut une lutte de chaque instant, rien ne lui fut épargné : problèmes de santé, difficultés financières, virulence des critiques. Parcours âpre, reconnaissance tardive, Henri Matisse commencera enfin à vivre aisément de son art à l’aube de ses soixante ans.
Passionné par la poésie, l’écriture, la sculpture, il s’ouvre très tôt les portes de la peinture et, parallèlement à son entrée dans le monde de l’art pictural, il voue un intérêt tout particulier pour le théâtre avec, à ses côtés, celui qui, sa vie durant, restera un ami fidèle, Léon Vassaux.
Henri Matisse, fils de tisserand, possède une remarquable collection de pièces d’étoffe, glanées au cours de ses voyages à l’étranger, comme des paréos polynésiens ou des tentures indiennes ; il s’inspirera souvent de leurs motifs dans le cadre de son activité. Quant aux femmes lui servant de modèle, elles seront d’une importance capitale pour sa créativité, même si pour certaines de ses œuvres, seul un vêtement pourra en constituer le sujet principal. Enfant du Nord, Matisse sera toujours en quête de lumière : Collioure, Nice, Tanger, New-York, Papeete ou la Corse resteront ainsi ses hauts lieux d’inspiration.
Henri Matisse, dès sa jeunesse, suit le conseil de Flaubert : « Si on a une originalité, il faut avant tout la dégager. Si on n’en a pas, il faut en acquérir une » et il n’a de cesse de travailler sa peinture en prenant le risque de métamorphoser son art, déstabilisant du même coup nombre de personnes, se croyant dès lors autorisées à le juger, lui et son art, avec une sévérité excessive. Mais Matisse, même habité par le doute, ne perd pas courage, et si la critique l’agace souvent, elle l’amuse parfois : ainsi en est-il de ces mots d’un journaliste en mal d’inspiration : « Matisse tisse »…
Au soir de sa vie, alors qu’il bénéficie d’une reconnaissance mondiale et que les honneurs viennent le couronner, la critique frappe encore ; l’objet de l’ire journalistique, la Chapelle du Rosaire de Vence, l’une de ses œuvres majeures. Si le Vatican l’a blâmé au sujet de la décoration de cette chapelle, son travail enchante ses mandantes, les « petites sœurs » dominicaines, dont Sœur Jacques-Marie fut l’une de ses modèles avant d’y entrer comme novice. Expliquant ses choix, Matisse dira : « Je viens du Nord et j’ai toujours détesté les églises sombres. J’aime le bleu clair qui émane des vitraux. Aussi intense que l’aile du papillon et la flamme bleu pur dégagée par le soufre allumé de mon enfance ».
Henri Matisse, une vie difficile certes, mais jalonnée de très belles rencontres telles que celles de Picasso, Derain, Marquet, Bonnard, Maillol, Russell, Signac, Camoin, ou encore Leo et Gertrude Stein, pour ne citer que ceux-là. Outre Léon et ses amis artistes, sa famille compte grandement à ses yeux, à commencer par sa mère, soutien indéfectible toute son existence durant, sans oublier sa première compagne, mère de sa très chère Marguerite, ni son épouse, Amélie, qui lui donnera deux fils (Jean et Pierre). À cet égard, une anecdote touchante vient illustrer ce propos : Matisse, alors âgé de 80 ans, dessinera au fusain le visage souriant de ses petits-enfants, sur le plafond de sa chambre, à l’aide d’un bambou, afin de les voir chaque matin à son réveil…
Avec cette nouvelle biographie, Karin Müller poursuit son chemin, celui de partager avec le lecteur son besoin de lui présenter un artiste, sa vie, sa peinture, pour lui faire comprendre que derrière une toile il y a l’expression d’un talent composé d’un homme et d’un créateur. L’exercice est pleinement réussi : au terme de la lecture de cet ouvrage se fait jour l’impression d’avoir eu une longue conversation avec le peintre et, désormais, de le connaître. Un peu comme un ami.
Valérie DEBIEUX (2013)
(Actuellement Indisponible aux Éditions Guéna-Barley)
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