John Dos Passos, né le 14 janvier 1896 à Chicago, mort le 28 septembre 1970 à Baltimore, à la fois écrivain et peintre, avait autant de plaisir à accorder des interviews qu’à rendre visite à son dentiste. Aversion fort regrettable s’il en est - à tout le moins à l’endroit des interviews - car, face à la caméra, il captive autant qu’il séduit.
Pour s’en convaincre, il suffit de visionner le document, enregistré en septembre 1969, à « Spence’s Point », nom donné à sa propriété située en Virginie à proximité de la rivière Potomac : assis sur un banc, proche de son jardin, il narre son amour des plantes, des légumes et des fleurs ; il évoque également ses origines, son père, surnommé « le commodore » et aussi sa mère. Avec pudeur, il confesse son admiration pour ses parents et, surtout, pour son père qui, en l’occurrence, lui apprendra très tôt le culte du travail. John Dos Passos se lève ainsi chaque matin à 06h30 et se met à écrire dès 07h30.
Il relate le départ de sa famille vers Washington puis, leur installation en Belgique et en Angleterre, deux pays où il suivra une partie de sa scolarité, avant de revenir dans le Connecticut. Très attaché au « Heartland », région formée des douze États du Centre-Nord des États-Unis, il dresse un tableau élogieux de cette partie qu’il affectionne tout particulièrement pour ses idées. Selon ses dires, tout vient de cette partie du pays, l’architecture y serait née. Pas surprenant dès lors qu’il affirme avoir souhaité devenir architecte.
S’agissant de son rapport à la littérature, il expose que la lecture l’a toujours accompagné et ce, depuis son enfance ; comme Flaubert, il aimait prendre le temps de dire les choses. Il parle également de ses influences et goûts littéraires (Flaubert, Stendhal, Villon, Rabelais) ainsi que les références de son père (St-Simon et Montesquieu). Ses années à Harvard, il ne les oublie pas : à cette époque, il aspirait plutôt à voyager, à voir le monde, qu’à se plonger dans l’œuvre d’Emerson, trop formel pour lui, ou à s’immerger en celle de Thoreau. Même si l’ennui a été son compagnon de chambre à Harvard, son propos prend des teintes plus nuancées lorsqu’il donne audience à certains souvenirs et qu’il se remémore les amis qu’il y a rencontrés et qui lui sont restés fidèles toute son existence durant (Dudley Poore, Robert Hyllier et, surtout, Edward Estlin Cummings).
Concernant l’écriture, il affirme ne pas avoir choisi sa vocation : au contraire, c’est le métier qui l’a retenu. Il parle alors de sa recherche quasi-obsessionnelle de l’objectivité et, citant Stendhal comme exemple, de sa quête constante du « mot juste ». S’il déclare n’avoir que peu d’admiration pour ses contemporains, il lit volontiers, outre ses amis, Hermann Melville, Stephen Crane, et J.D. Salinger - « The Catcher in the Rye ». Il n’apprécie guère en effet les écrivains qui, en quête de notoriété et soucieux d’attirer le lecteur, traitent de thèmes pornographiques. À ses yeux, il s’agit-là d’argent facile. En revanche, John Dos Passos parle, en termes empreints d’affection et d’admiration, de Fitzgerald et Hemingway. Préférant vivre dans l’anonymat, il n’aime ni la vie publique, ni la rencontre des gens de lettres, à l’exception toutefois de ses amis. Apprécié pour ses talents d’écrivain sur le Vieux Continent et heureux de cette reconnaissance européenne, John Dos Passos révèle, non sans une pointe de fierté, avoir vécu essentiellement de ses traductions à l’étranger. Citant l’adage bien connu, il se plaît à souligner que nul n’est prophète en son pays.
Quant à son œuvre, il déclare à son interlocuteur : «Je ne suis pas aussi pessimiste que cela dans mes œuvres car il y a toujours cette lutte positive de l’existence» et il ajoute : «Mes livres sont généralement satiriques et les gens qui ne comprennent pas la satire n’ont jamais compris mes livres » et de conclure : « Tout ce qu’il y a de mieux dans la littérature s’occupe de la tragédie de l’homme, […] et l’homme est tragique par nature car la mort l’attend ».
À l’issue de ce documentaire, l’auditeur n’a qu’une envie, celle de se précipiter chez son libraire ou dans sa bibliothèque et se plonger dans l’œuvre de cet écrivain, afin de la découvrir ou de la parcourir à nouveau.
Valérie DEBIEUX (2014)
Principales œuvres :
- USA – trilogie – 1930 – 1932 – 1936
- Aventures d’un jeune homme – 1939
- L’esprit et le cœur de Thomas Jefferson – 1953
- Mémoires traduits sous le titre La Belle Vie – 1966
Le Prix John Dos Passos, récompense littéraire qui porte son nom, est attribué à des écrivains américains créatifs qui ont produit un corps substantiel de publications dans lesquelles on retrouve certaines des caractéristiques de l’écriture de John Dos Passos : une exploration intense et originale de thématiques spécifiquement américaines, une approche expérimentale de la forme, et un intérêt pour une large échelle d’expériences humaines.
"Les archives du XXe siècle"
Entretien réalisé par Hubert Knapp et propos réunis par Jean-José Marchand
John Dos Passos, coffret 1 DVD/Collection Regards, Éditions Montparnasse, 2014)
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