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Le voyage des mots, de l'Orient arabe et persan vers la langue française, Alain Rey ; Calligraphies de Lassaâd Metoui

Photo du rédacteur: Valérie  DEBIEUXValérie DEBIEUX

Dernière mise à jour : 3 juin 2024


Les mots, un univers complexe, riche, coloré, chargé d’Histoire et d’histoires, une constellation de sons et d’onomatopées visant à appréhender tout ce qui compose l’Homme et tout ce qui l’entoure, qu’il s’agisse d’éléments abstraits et/ou concrets ; les mots, héritages vivants d’un passé plus ou moins lointain, vestiges de civilisations aujourd’hui disparues, témoins de la diversité culturelle, vecteurs de savoir et de partage.

 

Les mots voyagent. Sans ticket de transport, ni bagages. Ils accompagnent l’Homme dans toutes ses pérégrinations, par voie terrestre et maritime et, par tous les temps. La soie n’est pas seule à avoir emprunté la route éponyme du même nom ; les mots ont, eux aussi, pris part à ces convois, contourné des déserts, franchi des montagnes, suivi des pistes chaotiques, fait halte dans des oasis et traversé des villes, en passant par des contrées comme l’Inde, la Perse, l’Asie centrale et des cités comme Samarkand, Tyr et Constantinople, pour arriver en Afrique du Nord et en Europe.

Quelques mots, quelques voyages.

Almanach : « Le mot remonte à l’arabe al-munakh, nom désignant un moment dans le temps, une étape, et en particulier la variation du climat. ‘ibn al-munakh, le savoir du temps qu’il fait, c’est notre météorologie. Dans la langue arabe des califats d’Espagne, le mot devenu al-manakh […] ; c’est la forme prise en latin savant, passé ensuite dans les langues de l’Europe : almanachus. On le trouve en français à partir du XIVe siècle. Cet almanach était un gros calendrier illustré, et ce type d’ouvrage eut une importance sociale considérable. Dans la France du XVIe siècle, l’un des plus grands écrivains, par ailleurs médecin, philosophe, savant en maints domaines, grand transmetteur des connaissances et des mots du monde arabe, est François Rabelais. Or, en dehors de ses textes comiques  et géniaux, Gargantua, Pantagruel et la « Pantagruéline Pronostication » de 1533, qui est une prophétie burlesque, Rabelais est l’auteur d’« almanachs », qui sont la face sérieuse de son génie, utilisant des connaissances dans les domaines où les Arabes excellaient, l’astronomie, la science du temps et des « météores », en rapport avec l’astrologie, ainsi que la prédiction des nombres ».

Estragon : « Plus familier à la cuisine du sud de la France, l’ESRAGON, déformation sous la forme du latin médiéval tarcon, altarcon, avec l’article arabe, puis targon et estargonau XVIe siècle, de l’arabe tharkhun. Ce sont les médecins arabo-persans du XIIe siècle qui ont décrit les mérites de cette plante, dont la queue évoque une racine de dragon - c’est l’artemisia dracunlus des botanistes. Marcel Douvian doutant de l’origine grecque (drakon) du mot, montre que l’« arabo-persan tarkhun », qu’on lit chez Avicenne, est à l’origine du français, où le es- initial s’explique par l’article arabe al- (at devant t), passant du targon à et’, es’targon : estragon est une erreur appelée savamment métathèse. Nous devrions parler de feuilles de targon, mais notre vocabulaire est fait d’approximations, sinon de fautes ».

Taffetas : « De même que celui de la percale, le nom du TAFFETAS est persan, langue où un verbe taftan signifie « tordre, entrelacer (une matière souple) » et peut s’appliquer au tressage comme au tissage. Le mot, semble-t-il, a été emprunté par le turc. Le dérivé taftah désigne une pièce de soie. Toute la Méditerranée semble le porter : le taftan espagnol du XIVe siècle pourrait être passé par le catalan, l’italien taffeta, à la même époque pourrait venir du turc par Venise. Quant au français, d’abord écrit tafuta, taffetaz, taffetat au début du XIVe  siècle, il est responsable de l’anglais taffeta […] ».

Alain Rey, linguiste et lexicographe, oeuvrant en étroite coopération avec Lassaâd Metoui, calligraphe, convie le lecteur à un merveilleux voyage dans le temps et l’espace, à travers le parcours de deux-cent cinquante-cinq mots, ayant pèleriné depuis l’Orient arabe et persan jusqu’à la langue française. Les mots ont été regroupés sous différents thèmes avec, pour chacun d’eux, le traçage détaillé, en verbes  et en dessins, de son itinéraire à travers le temps et l’espace : «Le ciel visible - La mer, le désert - Petit bestiaire «oriental» - Abstractions mathématiques - Religion, croyances, magies - De l’alchimie à la chimie - Le monde sensible : matières et couleurs - Commerces et échanges - De l’Orient arabe aux ports italiens : l’arsenal et la darse - Titres et dignités - Langages - Textiles et tissus - Se vêtir à l’orientale ? - L’Orient de la tête aux pieds - Boissons et nourritures - Masques et mascarades ». À la fin de l’ouvrage, de très belles pages mettent la lumière sur les œuvres calligraphiques de Lassaâd Metoui. Ce magnifique ouvrage, richement illustré de calligraphies raffinées, allie l’esthétique à la transmission du savoir, il se lit et se regarde et, surtout, il rappelle que la richesse de la langue française doit beaucoup au voyage des mots.


Valérie DEBIEUX (2013)


(Guy Trédaniel Éditeur, octobre 2013, 448 pages)





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