La préparation d’un voyage nécessite soin et attention. Surtout si vous avez pour désir de faire un long et lointain périple. Dans des contrées aux paysages et climats aussi divers que contrastés. Penser à tout, ne rien oublier, se rappeler que chaque détail compte mais que l’essentiel consiste à bourlinguer léger. En d’autres mots, concilier - ce qui n’est pas chose aisée - l’art du nécessaire avec celui de la légèreté. Le sac à dos chargé de l’essentiel, l’esprit ouvert, la curiosité en éveil, vous voilà prêt au départ.
«Le Voyage des formes» présenté par Alain Rey, pour sa partie «écriture», et par Lassaâd Metoui, pour celle réservée à la calligraphie, est un magnifique ouvrage, proposant neuf destinations, direction «art, matière et magie » : la première d’entre elles invite le lecteur à visiter le thème ayant pour titre «Naissances - couleur, formes, esthétique et beauté» ; la neuvième et dernière entraîne le liseur à rendre visite à «Lassaâd Metoui, calligraphe plasticien - visible, sublimation, l’âme, abstrait». À compter de la première jusqu’à la dernière destination, l’« anagnoste » traverse des paysages d’une rare intensité culturelle ; il va de surprise en découverte, d’émerveillement en émotion, le regard attentif aux étincelles créatrices nées du frottement entre l’art et le verbe, la calligraphie et le mot.
Mieux qu’un descriptif aussi évocateur que possible, voici deux extraits, le premier consacré à l’écriture, le second au rapport entre l’art et le temps.
« 4. La vision et le verbe »
3. Rencontres avec le dire et l’écrire. […] L’écriture grecque, la cyrillique qui en dérive, la latine qui a envahi la plus grande partie de la planète et de ses langues présentent toutes ses variantes formelles. […] À Rome, du Ier au IXe siècle, on emploie la rustica, plus droite et plus souple que la quadrata, écriture capitale antérieure. Puis vient l’onciale (du IIIe au IXe siècle), la minuscule caroline (sous Charlemagne, au VIIIe siècle) qui évoluera vers la gothique (XIIe siècle) répandue surtout en Allemagne, où elle aura plusieurs variantes, et vers les formes italiennes.
[…]
Ainsi, depuis la plus haute Antiquité, avec le tracé manuel des écritures, jusqu’à la numérisation de leurs formes sur les écrans, depuis la chorégraphie manuelle du manuscrit jusqu’au clavier où les formes littérales sont codées, le langage écrit interfère avec des formes, figurales dans les écritures pictographiques, abstraites ou semi-abstraites dans les écritures idéo-phonographiques ou purement phonétiques, toutes susceptibles de beauté ».
« 8. Présence du temps »
[…] Le temps de l’art est celui de l’humanité même : il englobe préhistoire et histoire, distinctes comme un avant et un après la « révolution néolithique », celle de la culture et de l’élevage remplaçant cueillette et chasse, surtout celle de la mémoire du langage et des langues, l’écriture. L’art n’a pas besoin d’écriture pour apparaître : ses conditions sont la parole, la symbolique au-delà du réel perçu, et aussi le geste modificateur du monde. C’est d’ailleurs le geste qui donne à la parole un visage, en fait l’objet d’une vision. Pinceau ou stylet, les instruments mêmes de l’art, au service du répertoire accru des formes visibles, après celui des formes audibles ».
Ce « voyage des formes », ponctué de réflexions de philosophes, d’auteurs et de peintres, est une merveilleuse initiation, d’une richesse et d’une densité culturelles peu ordinaires, que ce soit par le verbe ou la calligraphie. Il est des voyages qu’il faut faire sans tarder, celui des formes en est un. « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage»…
Valérie DEBIEUX (2014)
(Guy Trédaniel Éditeur, novembre 2014, 340 pages)
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