« Le Raid américain », un superbe opus de cent vingt-et-une photographies datant, pour la plus ancienne de 1844 (Marché d’esclaves, Louisiane) et, pour la plus récente de 1918 (Annonce de l’armistice, Wall Street, New York City). Accompagné de commentaires historiques, précis, entrecoupés çà et là de textes d’auteurs de l’époque, l’ouvrage constitue un magnifique balayage imagé, sur près d’un siècle, des États-Unis d’Amérique en formation.
De la Guerre de Sécession, commencée le 12 avril 1861 et terminée le 9 avril 1865, par la reddition des troupes sudistes, en passant par son déclencheur; l’esclavage, « principale richesse des États agricoles du Sud », les témoignages, qu’ils soient illustrés ou écrits, quel qu’en soit le sujet, ouvrent la porte à l’émotion, la curiosité, l’étonnement, parfois à l’indignation ; ainsi en est-il du texte de Solomon Northup (1808 - 1857) : « On nous demandait d’abord de nous laver et de nous raser. On nous donnait ensuite des complets de mauvaise qualité mais propres. […] On nous conduisait dans une grande pièce où se trouvaient les clients et l’on plaçait les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, par ordre de grandeur. On nous demandait de lever la tête et de marcher, et les clients tâtaient nos mains et nos bras, nous faisaient ouvrir la bouche et montrer nos dents, exactement comme un jockey examine un cheval ».
L’effarement, marqué d’une certaine incrédulité, est lui aussi au rendez-vous : comment ne pas être stupéfait en découvrant la gigantesque caméra que George R. Lawrence utilisa pour prendre un cliché de huit pieds de long du train postal sur la ligne « Chicago – Alton », cliché qui remporta le Grand Prix International à l’Exposition universelle de Paris en 1900, après vérification officielle de l’existence de cette caméra et de l’authenticité de la photographie.
Impossible de tourner les pages de l’histoire américaine sans rencontrer le grand chef sioux, Sitting Bull (1831 - 1890) ou encore William S. Cody (1846 - 1917), surnommé «Buffalo Bill» ; difficile de traverser le territoire américain sans évoquer les cow-boys, les troupeaux de bétail sillonnant les immenses prairies, l’épopée du chemin de fer accolée à des noms tels que l’Union Pacific et la Central Pacific, des lieux mythiques comme Yellowstone, les Chutes du Niagara ou encore le Grand Canyon ; peu envisageable de se promener à travers les étendues boisées des États-Unis sans citer l’industrie du bois avec, pour corrélat d’une telle abondance, le gaspillage des ressources : « […] jusqu’en 1918, pour un arbre que l’on plantait, on en coupait six. […] Malgré ces excès, l’Amérique demeure un pays de flore et de faune, merveilleusement variées et abondantes : élans, cerfs, ours, canards sauvages, caïmans, esturgeons et saumons, tortues aquatiques et poissons comme le catfish qui n’existe nulle part ailleurs. Prairies couvertes d’énormes tournesols où pousse une herbe dense au reflet bleuté, forêts de sapins blancs, d’érables, d’ormes et de bouleaux, de marronniers et de noyers ».
Quant à la fameuse ruée vers l’or, rendue célèbre par le film de Chaplin, elle prend naissance en 1848 sur la propriété de John Augustus Sutter (1803 - 1880), colon d’origine suisse, sur la propriété duquel des filons d’or furent découverts. Son rêve de créer un État indépendant, la Nouvelle Helvétie, part en poussière. « La Californie devint l’occasion d’un grand rassemblement. Le raid vers l’Eldorado. Sutter eut beau protester, son domaine fut envahi, livré aux mineurs et à leurs rivalités. […] La vie était rude. Les prix atteignirent des montants très élevés : dix dollars pour un clou, cent cinquante pour une feuille de papier. Une seule chose connut la baisse : à la suite de la soudaine affluence de Chinois, le coût du blanchissage de douze chemises fut ramené à trois dollars ».
Au début du XXème siècle, l’Amérique de Thomas Jefferson « celle où chacun pouvait posséder sa propre terre, s’il le voulait, cède la place à l’Amérique de l’industrie, celle du charbon, du fer et de l’acier et ce, sans oublier l’industrie pétrolière qui, depuis la découverte de pétrole au nord-ouest de la Pennsylvanie en 1859, voit croître son importance au fil des ans avec, pour arrière-plan, l’ombre d’un certain John D. Rockfeller.
« En 1918, c’est la victoire ! Le raid américain de l’Eastern et du Western s’achève. Le canal de Panama relie l’Atlantique et le Pacifique. Et peut donc commencer le raid universel, toute la planète et même la Lune incluse.
Le président Wilson déclare : « L’Amérique est la nation sur qui le monde entier compte pour tenir en équilibre la balance de la justice. Si nous lui manquons, que Dieu aide le monde !».
L’ouvrage de Charles-Henri Favrod offre au lecteur une merveilleuse opportunité, celle de s’immerger dans un siècle d’histoire américaine, au travers de photographies originales, parfois volontairement proches du cliché, complétées, quand besoin est, par des textes se faisant le reflet des images présentées. Un tel travail, soucieux d’esthétique et de précision historique, suscite intérêt et enthousiasme, au point que les pages se tournent presque d’elles-mêmes. En bref, à lire, à voir et à revoir.
Valérie DEBIEUX (2014)
(Bernard Campiche, septembre 2014, 160 pages)
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