Années 2010. Chambon-sur-Lignon dans le département de Haute-Loire et la région d’Auvergne. James Nicholson, la quarantaine, de nationalité américaine, débarque au « One Toutou ». Son objectif, rencontrer Louise Sorlin, sa grand-mère. La rencontre n’aura pas lieu. Louise décède peu avant, à la résidence des Sycomores.
Il hérite de ses petites affaires, et notamment, d’un cahier rouge.
« Il caressa le cahier en murmurant : Louise est morte. Les mots du petit cahier rouge, il pourrait se résoudre à les entendre mais il ne pourrait pas les lire ».
Chaque soir, Nina, serveuse dans le petit hôtel, monte dans sa chambre pour lui en faire lecture. Le passé se reconstruit. Pièce après pièce, le puzzle prend forme. Le cahier rouge devient un trait d’union entre le passé et le présent. Les lieux n’ont pas changé. Les dernières protagonistes s’éteignent peu à peu à la résidence des Sycomores, et, avec leur décès, l’horizon de la vérité s’éloigne, le mystère s’épaissit.
« On se presse aux funérailles, les cortèges sont clairsemés. Il y a comme une lassitude, comme si l’on se réservait pour celle à venir. Aujourd’hui, on enterre “Petite Mère”. […] D’aucuns prétendront que le cerveau de Petite Mère était fort dérangé, que Dieu l’a ainsi délivrée des démons qui en avaient pris possession, mais Pierre sait que la veille Marie avait toute sa raison. Elle fouinait, Petite Mère, elle cherchait encore à savoir, elle n’avait pas abdiqué. Dans le hall des Sycomores, elle scrutait chaque nouveau visage, tendait ses grandes mains usées, veinées de marbre noir. Ses yeux ne la guidaient plus depuis longtemps. Elle déambulait dans la pénombre, elle en avait trop vu, la vieille Marie, elle avait vu les dix-huit enfants regroupés dans la nuit, leur regard confiant, leurs minois amusés. […] Ainsi l’histoire pouvait commencer, la même, toujours la même, la pension des Lunes, les lits désertés encore tièdes, la fuite dans la forêt, le simulacre de la chasse aux trésors, la colère des Ogres, les recherches des jours durant. Et à l’intérieur, dans la poitrine, l’oubli impossible et le remords de toute une existence ».
Ce roman de Corinne Royer, construit comme une succession d’allers et retours entre le passé et le présent, constitue un hymne à la mémoire de tous les Juifs disparus, pendant la deuxième guerre mondiale. Il participe également à l’œuvre et au devoir de mémoire qui entoure cette période de l’Histoire de France. Cet ouvrage rend également hommage au courage des habitants de la région de Chambon-sur-Lignon, et des localités voisines qui ont fait du verbe « résister » « leur étendard » et « transformé chacune de leur ferme en refuge » (cf. J. Chirac, extrait du discours présidentiel du 8 juillet 2004).
La plume de Corinne Royer, à la fois alerte, précise, cinglante, sensible et sensuelle, fait découvrir un récit bouleversant au lecteur, une histoire d’une autre France, celle de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui, armés de leur seul courage, générosité et humanité, auront permis à plusieurs milliers de Juifs d’échapper aux camps de concentration.
Valérie DEBIEUX (2012)
Prix Terre de France / la Montagne 2012
(Héloïse d'Ormesson, 2012 ; Babel n° 1589, 2019, 256 pages)
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