Avec La Part des flammes, Gaëlle Nohant transporte le lecteur dans le Paris de la Belle Époque, où elle ranime les destins marqués par la tragédie de l’incendie du Bazar de la Charité en 1897. Dans ce roman, elle déploie un talent rare pour restituer une époque en y mêlant la part de lumière et d’ombre de ses personnages féminins. À travers l’histoire d’une amitié improbable entre deux femmes issues de milieux opposés, elle interroge les thèmes du courage, de la rédemption et de la lutte contre le poids des conventions sociales. Ce n’est pas seulement un hommage à des vies brisées ; c’est une fresque où la tragédie devient un terrain d'exploration des âmes et de leurs secrets.
Gaëlle Nohant se consacre à l’écriture depuis près de vingt ans. Inspirée notamment par Dickens et par les écrivains victoriens, elle construit le canevas de sa narration à partir d’une base documentaire importante, défend une littérature à la fois exigeante et populaire.
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Valérie Debieux : Gaëlle Nohant, au travers de l’un de vos entretiens, j’ai appris que lorsque vous écriviez, vous aimiez vous documenter, et ce, pour mieux laisser votre part d’imagination s’envoler et prendre le dessus. On vous sent très perfectionniste – je dirais même plus – stakhanoviste dans votre façon de travailler. À vous lire, on ressent que le souci du détail est très important. Vous avez consacré quatre années de votre existence pour écrire «La Part des flammes», votre dernier ouvrage, unanimement apprécié par la critique et vos lecteurs. Dans un projet d’une telle envergure et à force de côtoyer longuement ses personnages, est-ce que l’on ne finit pas par s’ennuyer d’eux lorsqu’on les quitte ?
Gaëlle Nohant : Il est certain que j’ai vécu quatre ans avec les personnages de La Part des flammes, et qu’ils sont devenus pour certains comme des amis de longue date. Ils m’ont accompagnée même sept ans, le temps que ce roman rencontre Héloïse d’Ormesson et soit enfin publié ! Aujourd’hui ils me quittent enfin, mais ce n’est pas triste, parce que je les confie aux lecteurs qui ont déjà commencé à se les approprier, et je sais qu’ils seront entre de bonnes mains. Il était temps que nos routes se séparent pour que d’autres personnages puissent venir me hanter, m’obséder, me nourrir à leur tour. Et puis je les quitte en parlant d’eux dans les librairies, devant des lecteurs, alors c’est un adieu qui est doux et progressif. Mais pour revenir à votre remarque, si je suis perfectionniste, c’est pour servir au mieux les personnages, justement. Ma méthode est un peu Actors Studio, j’enquête sur la vie de mes personnages, ce qui est leur environnement, ce qui les fait vibrer, ce qui les habite, et j’essaie de le faire au mieux pour leur rendre toute leur épaisseur romanesque. Après, je peux les lâcher, je sais qu’ils vont se déployer tout seuls.
Valérie Debieux : Pour quel(s) personnage(s) avez-vous eu le plus d’empathie ?
Gaëlle Nohant : Je crois que j’ai une tendresse toute particulière pour la duchesse d’Alençon, son destin si romanesque et si tourmenté. J’aime aussi beaucoup Violaine, elle m’a souvent montré le chemin dans les moments difficiles de ma vie de ces dernières années, c’est quelqu’un de très positif, qui a su composer avec sa fragilité et grandir en allant vers les autres. Constance est très attachante parce que c’est une écorchée vive, on a peur pour elle, on voudrait la sauver ! J’ai aussi beaucoup d’affection pour Joseph, le cocher, sa bienveillance, sa bravoure, la tendresse qui émane de ce géant.
Valérie Debieux : On vous sent parfaitement à l’aise dans l’époque que vous décrivez. Qu’est-ce qui vous charme le plus au XIXe siècle ?
Gaëlle Nohant : Si j’y suis à l’aise, c’est sans doute d’y avoir vécu une sorte de vie parallèle, au point de finir par parler naturellement la langue ! Ce siècle me charme par ce subtil mélange entre décadence et renouveau, vieux préjugés et idées modernes, audace et angoisses sclérosantes. Ces transitions entre deux mondes, entre le passé et l’avenir, sont une manne pour le romancier parce qu’elles permettent à des personnages très différents de cohabiter. J’aime le charme de ce qui est en train de mourir, parce que je sais aussi que ces morts programmées permettent des renaissances. Proust l’avait montré avec bien plus de talent, mais cette époque qui n’était pas du tout douce aux femmes était néanmoins tout à fait fascinante, remplie de séductions parfois vénéneuses ou mélancoliques, de grandes dames et d’aventuriers.
Valérie Debieux : Quand vous travaillez à l’écriture d’un tel roman, éprouvez-vous le besoin d’écrire à la main, éclairée à la lueur d’une bougie, ou bien au contraire à l’ordinateur et au rythme de notre époque ?
Gaëlle Nohant : La bougie ça peut être pas mal, mais je suis résolument moderne pour ce qui est de l’écriture et j’ai besoin d’écrire sur un clavier. Même quand j’étais enfant je tapais mes premières histoires à la machine ! J’ai l’impression qu’il y a un lien direct de mon cerveau à mes doigts qui pianotent, et je ne le retrouve pas de la même façon quand j’écris à la main. Que j’écrive un roman qui se passe au XIXème ou de nos jours, ce qui compte c’est de pouvoir atteindre la concentration la plus grande, pour que les images qui naissent dans ma tête puissent se traduire au plus près.
Valérie Debieux : Quels sont les bibliothèques et autres lieux que vous aimez fréquenter pour effectuer vos recherches documentaires ?
Gaëlle Nohant : Pour ce roman, le bonheur a été de commencer mes recherches à la BNF, dans le silence recueilli des salles de recherches ! Ensuite, comme je vivais loin de Paris, j’ai continué grâce à l’aide de la banque de données Gallica qui est une véritable caverne d’Ali Baba numérique, donc pour ce livre ma bibliothèque a surtout été virtuelle… J’adorerais écrire mes livres dans ces grandes bibliothèques en bois, presque intimidantes, des universités anglaises. Mais j’aime aussi beaucoup écrire dans les cafés, au milieu de l’animation.
Valérie Debieux : Cette envie d’écrire « La Part des flammes » est venue d’une lecture de « Faits divers d’époque » du journal « Libération ». Est-ce qu’une œuvre peinte suffirait à vous embarquer dans l’écriture d’un roman ?
Gaëlle Nohant : Oui, parce qu’en fait il suffit d’un déclic qui se fait, en croisant quelqu’un dans la rue, en lisant quelques lignes de journal, en regardant une toile ou en écoutant un air de musique à un moment précis. C’est assez mystérieux et irrationnel, ça m’échappe en grande partie, mais tout à coup quelque chose m’attrape, mon esprit est capté et je sens un frémissement de l’imaginaire qui fera peut-être naître une histoire, s’il se poursuit.
Valérie Debieux : Écrire des romans historiques demande du temps et de l’énergie. Qu’est-ce qui vous semble le plus exaltant dans l’exercice de cette écriture ?
Gaëlle Nohant : Ce qui me plaît ce n’est pas les montagnes de recherches à faire, même si c’est un travail passionnant. C’est quand je me suis tapissé le cerveau avec toutes sortes d’images, de documents d’époque, d’articles de presse, de plans de Paris au XIXème et de traités sur les grands-brûlés et l’hystérie et que tout à coup, l’époque prend vie sous mes mots, les personnages s’expriment et ils ne parlent pas comme des gens d’aujourd’hui à qui on aurait enfilé un costume d’époque, ils parlent comme des gens à la fois proches et très loin de moi, ont une personnalité différente de la mienne, des émotions que je ne contrôle pas… Quand tout ce petit monde s’anime pour de bon sous mes yeux et que j’assiste en spectatrice au déploiement de l’histoire à mesure que je l’écris, ça c’est vraiment exaltant.
Valérie Debieux : Vous vivez actuellement une « succession de rencontres fécondes, de hasards miraculeux » à ce que vous dites. Qu’éprouvez-vous, au petit matin, lorsque vous partez à la rencontre de nouveaux lecteurs ?
Gaëlle Nohant : Je suis assez joyeuse et excitée, parce que je sais que ma journée sera pleine de surprises et que la plupart seront belles. Depuis le début de mes rencontres avec les lecteurs, j’ai croisé des gens très différents, mais ces rencontres sont toujours riches et enveloppées d’une grande bienveillance. Parfois des descendants de victimes de l’incendie viennent me rencontrer, et c’est toujours très émouvant ! Les rencontres sont à chaque fois différentes, mais toujours assez magiques.
Valérie Debieux : Vous êtes-vous imprégnée de certains lieux pour les décrire ensuite dans votre roman ? Et si oui, pensez-vous que la « mémoire des murs » puisse insuffler de l’inspiration ?
Gaëlle Nohant : Oui car beaucoup de ces lieux étaient à Paris, et j’aime profondément cette ville remplie d’histoires, j’adore marcher dans Paris, me promener au hasard, regarder les fenêtres allumées dans le soir et imaginer la vie des gens qui habitent là. J’aime me dire qu’à cet endroit, d’autres gens vivaient à d’autres époques, même si le visage de la ville a changé, Paris est une ville si chargée d’Histoire et d’histoires que tous ces fantômes pacifiques ou torturés sont toujours là, j’en suis sûre. Il suffit de les accueillir et de les entendre murmurer sous les portes cochères, aux coins de rues.
Valérie Debieux : Je vous laisse le mot de la fin…
Gaëlle Nohant : Pour finir je dirai juste que ce sont les lecteurs, finalement, qui me disent quelle histoire j’ai écrite. Pour moi, écrire un roman c’est envoyer une bouteille à la mer, et là je sais que la bouteille a été trouvée, qu’on en a pris soin, et que ceux qui l’ont trouvée sont partie prenante de l’aventure. Il n’y a rien de plus beau que ce moment où je les rencontre et où cette histoire sortie de ma tête crée un lien entre nous.
Entretien mené en 2015 par Valérie DEBIEUX
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