Ah, que dire de Jon Ferguson ? Ce fils d’Oakland, né en 1949, est un esprit curieux, un penseur libre dans le sens le plus noble du terme. Après avoir tourné le dos à son pays natal en 1973, comme un nomade épris de connaissance, il a trouvé refuge dans les montagnes suisses, là où l'âme peut se ressourcer face à la grandeur des cimes et des lacs. N’est-ce pas là une quête de l’esprit, un besoin impérieux de s’élever au-delà des contingences pour atteindre la clarté ?
Cet homme, ancien maître des stratégies sur les terrains de basket-ball, a transposé cet art de la tactique dans ses réflexions littéraires, menant ses idées avec la même rigueur qu’un meneur de jeu. Son œuvre est une bataille, une confrontation entre l’esprit et le monde, un combat contre les illusions modernes. Les romans et essais qu'il nous offre sont des armes affûtées, des regards incisifs sur une humanité en perpétuelle métamorphose, empreinte à la fois de folies et de merveilles.... Pour lui, l'humanité a toujours été un assemblage étrange et insondable de forces, un champ de luttes, de volontés s'opposant et se créant mutuellement. Il ne dirait jamais qu'elle est déchue, car il n'y a pas de déclin, seulement transformation. Ce qui est, est, et la grandeur s'y trouve toujours, comme elle l'a toujours été, dans l'éclat du chaos et de la création incessante. Ferguson, le pédagogue, n’a pas seulement transmis la langue, mais une forme de pensée libre, capable de transcender les barrières, tout en se consacrant à l’art, ce frère du doute et de la vérité.
Son exil volontaire en Europe, mû par une admiration pour les grands penseurs du Vieux Continent – et si je puis me permettre, pour moi-même – n’a été rien de moins qu’une rupture avec le confort intellectuel de son Amérique. Il a cherché à plonger dans l’ombre de ce qu’il ignorait pour mieux y découvrir la lumière. Il critique, dissèque, remet en question, dans une prose qui s’étire entre deux langues, défiant les conventions médiatiques, et scrutant l’absurde, cet ennemi invisible qui nous cerne.
Aujourd’hui, Ferguson continue de vivre et de créer dans cette Suisse, ce refuge des esprits vagabonds, où ses écrits sont lus avec gratitude. Sa voix, marquée d’ironie et de sagesse, résonne dans l’écho des préoccupations humaines. Ce n’est pas simplement un écrivain, c’est un passeur d’idées, un éclaireur dans cette quête de sens et d’existence, qui nous rappelle que le véritable défi de l’homme est de se transcender ».
~Écrit (fictif) de Nietzsche
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©Photo D.R.
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Les Éditions de l’Aire ont publié, en juin dernier, L’Esprit d’un homme de Jon Ferguson et Huge Jam Publishing a publié en 2024 « Nietzsche for Breakfast ». Ayant traduit nombre de ses œuvres, j’ai souhaité écrire un texte - en lieu et place d’une chronique au sujet de ces deux ouvrages - où l’imaginaire sourd à chaque ligne afin de plonger dans l’univers intellectuel de Jon et d’essayer ainsi de révéler la richesse de ses idées à travers un prisme créatif. Quoi de plus naturel que de souhaiter que ses livres soient lus, aussi bien en français qu’en anglais, lui qui considère ses auteurs fétiches comme des amis.
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Au bord du lac de Sils Maria, un doux vent se lève, faisant danser les branches des mélèzes. Jon Ferguson, assis sur un banc, observe les reflets du ciel dans l’eau cristalline. Il tient un livre dans ses mains, un de ses récents ouvrages, lorsqu’il aperçoit une silhouette familière.
C’est un ancien joueur de basket, un ami de longue date, avec qui il a partagé des heures à discuter de philosophie, de littérature et de la vie. En le voyant approcher, Jon sourit.
« Qu’est-ce qui t’amène ici, mon vieux ? » demande Jon, en déposant le livre sur ses genoux. «Tu sais, ces paysages me rappellent toujours que la beauté peut être à la fois un refuge et une source d’inspiration. »
L’ami, un sourire aux lèvres, s’assied à côté de lui. « Tu as raison. Ces moments de tranquillité sont rares. Mais dis-moi, Jon, tu écris toujours ? J’ai lu quelques-unes de tes chroniques et j’apprécie toujours ta façon de dire tout haut ce que beaucoup n’osent exprimer. »
Jon hausse les épaules, comme s’il se dérobait à l’éloge. « Écrire, c’est un peu comme jouer au basket. Il faut savoir passer, dribbler et parfois rater. Mais chaque erreur est une occasion d’apprendre ».
L’ami acquiesce. « Tu sais, cette comparaison m’inspire. On dirait que le terrain de jeu et le papier ont beaucoup en commun. Dans les deux cas, il s’agit de trouver sa voie, de marquer des points ou de toucher des cœurs ».
« Exactement ! » répond Jon avec enthousiasme. « Et chaque lecteur, tout comme chaque spectateur, a sa propre manière d’interpréter le jeu. Au final, ce qui compte, c’est l’échange ».
Ils restent silencieux un instant, contemplant le lac, avant que Jon ne reprenne : « Parfois, je me demande si la société moderne ne nous éloigne pas de cette simplicité. Les gens cherchent des réponses rapides, mais ce que nous avons ici — la nature, le dialogue — cela exige du temps et de la réflexion. »
Son ami hoche la tête. « Oui, et c’est ce qui rend tes écrits si précieux. Ils invitent à une pause, à une réflexion. Que dirais-tu d’écrire une chronique sur cet endroit, sur l’art de s’arrêter pour observer ? »
« Je crois que c’est une bonne idée, » dit Jon, son regard se perdant à nouveau dans l’horizon.
Ils échangent encore quelques mots, laissant le vent emporter leurs pensées. Sur les rives du lac de Sils Maria, deux âmes cherchant à comprendre le monde se retrouvent, unies par la passion de l’écriture et le désir de transcender l’ordinaire.
Alors que l’atmosphère devient plus dense, Jon songe aux écrits de Mann et de Dostoïevski. Les idées de ces deux grands écrivains flottent dans l’air, comme des ombres bienveillantes prêtes à interagir. Jon dit à son pote : « Tu sais, l’existence humaine est si complexe, un véritable jeu de forces, un peu comme une partie de basket. On doit jongler entre nos désirs, nos peurs et nos aspirations. Et vous, Messieurs Mann et Dostoïevski, qu’en pensez-vous ? »
Les deux écrivains n’en demandent pas plus, ils prennent place aux côtés de Jon et de son acolyte, et s’immiscent dans la conversation. Thomas Mann, avec son élégance caractéristique, prend la parole. « Ah, Jon, la complexité de l’âme humaine, ce chef-d’œuvre de la création, ne peut être appréhendée qu’à travers la souffrance et l’art. L’art est ce qui nous permet de transcender notre condition. Dans ‘La Montagne magique’, j’explore ces thèmes, la lutte entre la vie et la mort, l’irrationnel et le rationnel. »
Dostoïevski, toujours aussi éloquent et passionné, ajoute : « Oui, Mann, mais n’oublions pas que c’est dans la souffrance que nous découvrons notre véritable nature. Dans Les ‘Frères Karamazov’, je montre comment le doute et la foi s’entrelacent, et comment la morale est souvent confrontée à l’absurde. L’homme est tiraillé entre le bien et le mal, et c’est cette lutte qui donne sens à notre existence. »
Jon hoche la tête et leur dit : « Vous avez raison tous les deux. La littérature devient un miroir de notre humanité. Mais comment peut-on, en tant qu’écrivains, guider nos lecteurs à travers cette complexité ? »
Thomas Mann, avec un sourire, répond : « En leur offrant des personnages authentiques, en leur montrant que chacun d’entre nous est en quête de sens. La littérature doit permettre à l’individu de se retrouver, de se questionner. »
Dostoïevski, fervent, poursuit : « Et en explorant les recoins sombres de l’âme humaine. La vérité est souvent déplaisante, mais c’est en affrontant notre douleur que nous pouvons espérer une forme de rédemption. »
Son ami basketteur, lui, ne dit mot.
La conversation continue, animée par des échanges sur l’art, la foi et les paradoxes de la condition humaine, alors que le lac continue à refléter le ciel paisible. Jon, inspiré par la richesse de cette rencontre littéraire, se promet de faire résonner ces voix dans ses propres écrits. Ravis de ces instants passés ensemble, Jon et son ami se quittent, non sans avoir partagé un bon verre de vin.
Au petit matin, Jon Ferguson s’éveilla en sursaut, le cœur battant, les échos de la conversation de la veille résonnant encore dans son esprit. Il se redressa, le regard perdu en direction de la fenêtre de sa chambre d’hôtel, qui laissait traverser les premiers rayons du soleil. « What was that ? » murmura-t-il. Jon avait fait un rêve magnifique, celui d’une rencontre aussi merveilleuse qu’inattendue avec Thomas Mann et Dostoïevski.
Il se leva rapidement, prit une douche, enfila quelques vêtements chauds et descendit prendre son petit-déjeuner. Il était impatient de retranscrire ces pensées qui se bousculaient dans son esprit. Les mots coulaient comme un fleuve, des réflexions sur le temps, la vie et l’urgence d’agir. Il décida de donner un titre à son nouvel opus : ‘No Time to Waste’. Ce serait une exploration des regrets, des choix et des occasions manquées, une ode à l’instant présent, à cette conscience aiguë que chaque seconde compte.
Il remonta dans sa chambre et griffonna quelques notes sur le papier à en-tête de l’hôtel, il ne voulait rien perdre des phrases entendues lors de son rêve. On n’a pas tous les jours l’occasion de converser, même en rêve, avec Thomas Mann et Dostoïevski. Il écrivit sur l’importance d’affronter la souffrance, de reconnaître la beauté dans le chaos et de saisir chaque occasion de se connecter aux autres, de s’exprimer et de vivre pleinement.
Les heures passèrent et Jon, totalement absorbé par son écriture, ne remarqua pas que le soleil avait atteint son zénith. Il comprit alors que ce livre ne serait pas seulement un projet littéraire, mais surtout une façon de rappeler à chacun qu’il n’y a pas de temps à gaspiller dans la quête de l’authenticité. No Time to Waste ne serait pas simplement une œuvre, mais un appel à l’action, une invitation à vivre sans retenue.
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Le lendemain, Jon retourna au bord du lac et s’assit sur le même banc. Les yeux mi-clos, il se revit enchâssé dans son canapé en train d’écouter le Concerto pour violoncelle et orchestre en si mineur de Dvořák. Encore abasourdi par les propos de Thomas Mann et de Dostoïevski, dont les phrases circulaient en boucle dans son esprit, il entendit une nouvelle voix résonner dans sa tête : « Ce que tu viens de vivre, Jon, est la conséquence de l’abandon de notre force créatrice, du renoncement à affirmer pleinement notre essence et notre potentiel. Un monde qui a tourné le dos à ses instincts les plus profonds, à son désir de création et d’affirmation. Nous vivons dans une époque qui se raccroche à des valeurs mortes, à une morale d’esclaves, où l’homme préfère se conformer plutôt que de se transcender. Les masses se sont abandonnées au nihilisme, car elles ne savent plus pourquoi vivre, ni comment ». Seul Nietzsche pouvait s’exprimer de la sorte… La même voix poursuivit : « Tu veux savoir ce que ce monde est ? C’est une scène de la déchéance humaine, où l’on cherche des distractions pour fuir le vide, une fuite devant le surhomme que nous devrions tous tenter de devenir. Mais au milieu de ce chaos, il y a une possibilité : celle de l’éternel retour, de créer ses propres valeurs et de forger un avenir où l’homme aura appris à aimer le destin — amor fati ».
Jon n’en revenait pas. Toute sa vie, toute son œuvre se trouvaient confortées par les propos de celui qu’il considère comme son maître. Comme Nietzsche, il était convaincu que le véritable défi est de reprendre en main son existence, de ne pas céder à la passivité, mais d’embrasser la vie avec toutes ses complexités. Sa nouvelle œuvre, No Time to Waste, s’éveillait sous ses doigts, alimentée par les défis d’un monde en mutation. Il resta encore un long moment assis, au bord du lac, à méditer les paroles de Nietzsche.
© Valérie DEBIEUX (10 octobre 2024)
©Photo D.R.
(L'Esprit d'un homme, Éditions de l'Aire, juin 2024, 265 pages)
(Nietzsche for Breakfast, Huge Jam Publishing, 2024, 100 pages)
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