Entretien avec Karin Müller : la vie, la peinture, l'écriture et les arts
Karin Müller est l’auteure de plusieurs ouvrages et travaille à la galerie « Gimpel & Müller », au cœur de Saint-Germain-des-Prés. Jean Lacouture a préfacé son ouvrage, intitulé 100 Crimes contre l’art. Passionnée par la vie des artistes, surtout par celle des peintres, Karin Müller a écrit un magnifique ouvrage, Les Fulgurances de Nicolas de Staël, et tout récemment, Lever de rideau sur Edward Hopper, sorti à l’occasion de l’exposition au Grand Palais de Paris en 2012.
Karin Müller va à l’essentiel dans ses ouvrages, elle saisit les instants les plus forts dans un style très efficace, et c’est avec joie qu’elle a accepté de m’accorder un entretien entre la sortie de ses deux derniers ouvrages. (Entretien réalisé en 2012)
Valérie Debieux : Karin Müller, vous venez de sortir un ouvrage sur Edward Hopper. Comment est né ce projet ?
Karin Müller : Mon travail sur Nicolas de Staël m’avait apporté beaucoup de joie et je m’étais rendu compte lors des lectures faites par François Marthouret ou Thierry Clermont, que le public était touché, voire bouleversé par ma façon de raconter ce destin hors du commun. La première personne rend le personnage plus proche, plus accessible, plus familier. J’ai donc décidé de récidiver avec Edward Hopper lorsque j’ai appris qu’une grande rétrospective lui serait consacrée au Grand Palais.
Valérie Debieux : Vous êtes passionnée de peinture, de littérature et de musique. Vous écrivez comme on peint, par touches successives. Est-ce que vous-même vous pratiquez la peinture ?
Karin Müller : Je ne sais ni dessiner, ni peindre. Par contre, j’ai longtemps joué du piano. J’ai malheureusement arrêté après mes études. Mon piano de concert est à la galerie, nous organisons des récitals. Les lectures des Fulgurances de Nicolas de Staël sont toujours accompagnées par un ou une pianiste. Ces respirations musicales permettent au public de se détendre en écoutant un répertoire choisi.
Lors de la sortie de Lever de rideau sur Edward Hopper, François Marthouret m’a fait l’amitié d’en lire le début, accompagné par la talentueuse concertiste Axia Marinescu. Ce fut une très belle soirée.
Valérie Debieux : Pouvez-nous nous parler de votre prochain ouvrage « 100 Crimes contre l’art », préfacé par Jean Lacouture, biographe notamment d’André Malraux, et de bon nombre de personnalités ?
Karin Müller : C’est Michel Martin-Roland, un ami auteur et éditeur qui me l’a proposé. Il m’a fait le plaisir d’aimer mes Fulgurances de Nicolas de Staël et m’a intégrée à l’équipe des auteurs de Lécailler, maison dans laquelle il est directeur de la collection « 100 Crimes ». Le 22 Novembre, nous fêterons à la galerie mes 100 Crimes contre l’Art. Jean Lacouture en lira quelques-uns qu’il choisira lui-même. Il a toujours sa belle voix et sa silhouette de jeune homme. Et sa préface est très spirituelle.
Je raconte 100 agressions contre des peintures, sculptures, monuments… Vous apprendrez qui a cassé le nez du Sphinx. La mutilation a eu lieu au 14ème siècle… Ce n’est donc ni Obélix, ni Napoléon. C’est le crime le plus ancien dans ce livre. J’ai ajouté un 101ème crime lorsque j’ai appris le casse du musée de Rotterdam il y a quelques jours… espérons qu’il y ait un happy end !
Valérie Debieux : A quand remonte votre passion d’écrire des biographies ? Et comment procédez-vous ?
Karin Müller : Elle a commencé avec la lecture du Prince foudroyé, de Laurent Greilsamer, pour moi la meilleure biographie sur Nicolas de Staël. J’ai été littéralement « foudroyée » par ce destin si tragique et romanesque… et j’ai voulu l’écrire pour la scène. J’ai lu tout ce qui était publié sur Staël afin de me faire une idée précise de son destin. Petit à petit, je me suis approprié sa vie. Je me suis mise dans sa tête, son cœur, ses pinceaux… J’ai fait la même chose pour Edward Hopper. Même si sa trajectoire est opposée à celle de Nicolas de Staël, elle est tout aussi passionnante. En fait, je vis plusieurs mois avec mes héros… Je dois m’éloigner de Paris pour mieux me concentrer.
Valérie Debieux : Vous co-dirigez une galerie à Paris. Pouvez-vous nous en parler un peu et nous dire quels sont les artistes que vous exposez en ce moment ?
Karin Müller : Mon mari et un de nos fils dirigent « Gimpel & Müller ». C’est une galerie familiale. Nous exposons surtout des artistes européens qui ont comme langage commun la géométrie. Nous défendons également des abstraits lyriques et des cinétiques, comme Cruz-Diez, qui m’a connue enfant.
Nous présentons actuellement Alan Reynolds, un artiste anglais de près de 90 ans qui travaille le carré, les reliefs blancs. Ses dessins sont de pures merveilles. Il sera suivi par Adrien Dirand, un jeune photographe français, qui présentera une série de photos prises en Inde avec son père, Jacques Dirand, aujourd’hui disparu. L’exposition s’intitulera Temples de l’eau. Nous faisons une exposition de photos par an, dans le cadre de « Photo Saint-Germain ». L’année dernière, nous avons présenté avec succès Garry Fabian-Miller, un photographe britannique de grand talent.
A la fin de l’année, nous exposerons des gravures, sérigraphies, et livres d’artiste édités par l’atelier Fanal, de Bâle… André Schweizer, un des co-fondateurs, a fait une importante donation à la bibliothèque de Valenciennes. Clin d’œil à la Suisse !
Valérie Debieux : Quelles sont vos influences littéraires et votre bibliothèque idéale ?
Karin Müller : Je lis depuis ma plus tendre enfance. J’étais un rat de bibliothèque. J’ai dévoré et dévore toujours avec le même plaisir et appétit Sagan, Anouilh, Giraudoux, Pagnol et surtout Guitry, Malraux, Sartre, Aragon, Triolet, et ma chère Dominique Desanti, disparue il y a plus d’un an, avec laquelle j’ai fait deux livres ! Sans oublier les biographies passionnantes de Jean Lacouture ! Je ne m’en lasse pas.
Valérie Debieux : Quels sont vos artistes peintres préférés ? Et pourquoi ?
Karin Müller : Staël et Hopper sont bien entendu dans le peloton de tête car je connais maintenant leur œuvre de façon presque intime. J’ai vécu plusieurs mois avec eux. Mais j’aime beaucoup l’abstraction lyrique des années 50, notamment Hartung ou Léon Zack dont la dualité me fascine. Né russe, juif, il est devenu français et catholique. Je suis passionnée par ces trajectoires bouleversées par les révolutions, les guerres, les drames.
Valérie Debieux : Quel est pour vous, le lien entre la littérature et la peinture ?
Karin Müller : Tous les arts ont des passerelles. J’ai du mal à comprendre qu’ils soient toujours aussi cloisonnés. Nous organisons dans notre galerie des concerts, des tables rondes… La peinture et la sculpture accueillent la poésie, la musique, la philosophie, la littérature, le théâtre… Les arts se donnent ainsi tous la main !
Valérie Debieux : Je vous laisse le mot de la fin…
Karin Müller : Que dire sinon qu’écrire est un bonheur décuplé lorsque les lecteurs nous témoignent leur enthousiasme, comme vous l’avez fait… Et quand nos livres incitent à découvrir des œuvres ou à dépoussiérer un chevalet…
Entretien mené par Valérie DEBIEUX (2012)
Comments