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Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

"Comment je suis devenu écrivain", Raymond Delley; Préface de Jean-François Haas

Ne vous resterait-il pas votre enfance, cette précieuse, cette royale richesse, ce trésor des souvenirs ?~ Rainer Maria Rilke

 

 

À travers son ouvrage ayant pour titre « Comment je suis devenu écrivain », Raymond Delley narre un voyage littéraire profondément intime, où chaque mot résonne comme une note de musique, vibrant de sens et d’émotion. Ce récit, enraciné dans l’enfance de l’auteur, plonge le lecteur au cœur de ses premières amours : les mots et l’observation de la nature environnante. Très tôt, il confesse son attrait pour la sonorité et la tonalité des mots qui font de la langue un art vivant.

 

« […] le petit garçon préfère s’asseoir un peu à l’écart, au pied du pommier ou du cerisier, les jambes étendues sur l’herbe fraîche. Et là, il s’amusait à suivre des yeux une procession de fourmis, l’envol d’un moineau, le passage léger de la brise dans le feuillage au-dessus de lui, ou encore, au loin, la lente déambulation des nuages sur les forêts et les montagnes. Son plaisir était, pour ce « moineau », cet « arbre », ces « forêts », ces « nuages » de les appeler par leur nom, qu’il prononçait à haute voix, avec gravité, comme s’il s’agissait de sésames qui lui donnaient accès à ce qui se passait derrière les choses. […] À cet égard, le premier mot qui l’enchanta fut le mot « arbre ». C’était un mot touffu, raboteux, avec ce « b » campé tout droit entre les deux « r » qui semblaient le soutenir, comme deux racines ; de chaque côté, le « a » et le « e » laissaient passer le souffle du vent, le chant du feuillage dans l’air…  Il le prononçait à haute voix, en savourait lentement la sonorité ; « a-r-br-e », et les sons avaient quelque chose de râpeux, de rugueux, comme l’écorce du chêne quand, dans un geste d’affection et de fraternité, le petit garçon passait la main sur ses creux et ses bosses. »  

 

Au fil de l’évocation de son adolescence, jalonnée de livres et de rencontres, Raymond Delley invite tout un chacun à suivre son parcours, marqué par la figure inspirante de Louis Page, ce professeur qui, un jour, lui a soufflé : « Continuez à aimer la langue française ; elle vous ouvrira les portes de l’Invisible. »

 

Devenu lui-même professeur de lettres, puis écrivain, Raymond Delley partage ici non seulement sa passion pour la littérature, mais aussi sa méthode d’écriture, tout en sobriété et en finesse. Ce sont ses vestiges émotionnels, patiemment construits, qui donnent corps à ses récits et, cette « fillette au regard myosotis », évoquée avec une pudeur émouvante, semble être le fil conducteur de son œuvre. Cette muse discrète, source d’inspiration, est au cœur de Quelques jours en automne, un ouvrage qui s’inscrit dans une trilogie de la mémoire, véritable ode au temps qui passe et à la fragilité des impressions d’autrefois.

 

« Quelques jours en automne », […]l’idée de ce roman m’est venue bien longtemps avant que je n’entreprenne la rédaction des « Clairières » ; peut-être même était-elle présente dans un coin de mon esprit depuis le temps lointain de ma jeunesse et avait-il mûri lentement, au fil des années, pour ainsi dire à mon insu. Pour retrouver la source de ce roman, je dois remonter au temps de mon adolescence.

Lorsque j’étais au Pensionnat St-Charles, j’ai fait la connaissance d’une fille de mon âge – nous avions treize ans – qui vivait avec ses parents dans une maison proche du pensionnat. Un jour que je me rendais au kiosque de la gare des autobus pour acheter un livre – probablement un Bob Morane -, je l’ai aperçue qui marchait devant moi dans la rue du Château, tenant un lourd cartable dans une main et un parapluie dans l’autre. C’était la fin de l’automne, les premiers givres rendaient la chaussée glissante.

Une fissure dans le trottoir, une plaque de glace, un moment d’inattention, et voilà que la fille s’étale de tout son long, lâchant le cartable qui s’ouvre et déverse son contenu sur le sol : livres, cahiers, plumier… Je me précipite pour l’aider à se relever, ramasse ses affaires que je remets dans le cartable, lui demande si elle s’est fait mal…

C’est alors seulement qu’elle a tourné son regard vers moi et que j’ai connu mon premier choc amoureux, non pas un de ces coups de foudre qui vous enflamment et vous embrasent, mais une délicieuse envie de prendre cette fille dans mes bras, de la serrer tendrement contre moi, de poser mes lèvres sur les siennes, de me perdre dans ses yeux bleus… […] Pendant les deux mois qui nous séparaient des vacances de Noël, nous nous retrouvions deux ou trois fois par semaine, lorsque je pouvais m’échapper du pensionnat pour aller passer un moment en ville,… […] Nous allions nous promener sur les remparts en nous tenant par la main ; nous profitions des recoins d’ombre pour nous embrasser – de timides baisers où nos lèvres ne faisaient que s’effleurer mais qui n’en éveillaient pas moins en nous des désirs que nous gardions prudemment pour nous. […] À un moment, nous nous sommes arrêtés ; et elle était là, devant moi, avec ses yeux myosotis qui brillaient, ses boucles de cheveux où s’accrochaient les flocons de neige et que j’écartais doucement de la main, son sourire qui s’offrait comme une fleur. C’était la dernière fois que je voyais son visage. En janvier, à la rentrée, alors que je flânais dans sa rue en espérant la voir venir vers moi, me tendre les bras, m’adresser ce sourire où les yeux avaient autant de part que la bouche, c’est une de ses copines qui s’est approchée de moi pour m’annoncer que son amie était morte le lendemain de Noël, d’un accident de ski.   

 

L’écriture naît souvent d’un manque, d’une absence. Elle devient alors une nécessité, presque une obsession. L’enfant qui se met à écrire perçoit déjà l’importance de la création comme un moyen de survie, un acte de résistance face à l’oubli, face à l’éphémère. Écrire, c’est lutter contre l’oubli, contre la disparition des choses, des êtres, des moments. C’est dresser des monuments invisibles qui perdureront tant qu’un lecteur en poursuivra les lignes.

 

Avec justesse, retenue et profondeur, Raymond Delley parvient à raviver en chacun de nous la flamme de cet amour pour la langue et les mots, tout y en ajoutant de subtiles réflexions sur l’acte d’écrire et les empreintes qui façonnent nos vies. Son texte est un hommage aux récits et aux auteurs qui, par leur talent, permettent de retrouver la trace de nos propres histoires. Mais surtout, il célèbre la lecture, cette expérience profondément intime et universelle, où chaque lecteur devient, à son tour, créateur d’un monde. Lire n’est pas une simple évasion ; c’est une manière d’habiter pleinement le présent tout en explorant le passé et l’avenir. Que l’on soit écrivain ou simple lecteur, cet ouvrage touchera en chacun cette corde sensible, celle qui vibre au son des mots justes et des histoires sincères. La lecture, plus que jamais, est essentielle, et ce livre en témoigne avec éclat. L’auteur rappelle que, dans un monde qui va toujours trop vite, il est des trésors de papier qui nous attendent, prêts à toucher l’âme et offrir ce vertige dont seul l’art de l’écriture a la secret.

 

Valérie DEBIEUX (2024)


(Éditions de l'Aire, 136 pages, 2023)

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