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  • Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

Comme un chant d'espérance, Jean d'Ormesson

Dernière mise à jour : 3 juin


Mise en place du décor, sobre, efficace, le tout et le rien en un. « Il n’y avait rien. Et ce rien c’était le tout. Le tout et le rien se mêlaient l’un à l’autre et se confondaient l’un avec l’autre. […] Pour donner une idée de ce rien qui était le tout, il faudrait une nuit obscure. Un silence complet. Un vide absolu. […] Avant le monde et son train, il n’y avait pas d’espace et il n’y avait pas de temps. […] L’éternité se confondait avec le tout et avec le rien ».

Voilà quatorze milliards d’années environ, prend naissance une période d’expansion violente et homogène de l’Univers, le big bang, avec, pour corrélat, un éloignement rapide des éléments de la matière et, pour trace, un fond diffus cosmologique. Notions siamoises d’une structure indissociable à quatre dimensions, le temps et l’espace accompagnent la chaleur décroissante de cet Univers en expansion. Galaxies, étoiles, magmas gazeux, météorites, comètes, le Soleil, les planètes, la Terre, la Vie et, tout récemment, l’Homme. « Le hasard et la nécessité qui assurent le fonctionnement du monde ont pu aussi présider à sa naissance et à sa création. À peine ces mots sont-ils écrits que les questions fusent de toutes parts. Si le hasard et la nécessité sont à l’origine de notre univers, d’où vient l’espace, tantôt plein, tantôt vide, et toujours universel ? Et d’où vient ce temps qui nous paraît si simple et qui est d’une affreuse et cruelle complication ? Et le hasard est-il vraiment capable de produire un monde où règne un ordre réglé par une rigueur implacable ? Et Dieu dans tout cela ? […] En face et à la place d’un hasard aveugle et d’une nécessité qui serait surgie de nulle part, une autre hypothèse, tout aussi étrange et à peine plus absurde, mais peut-être plus rassurante, en tout cas plus romanesque et largement répandue, met au cœur du big bang ce mélange de tout, de rien et d’éternité que nous avons pris l’habitude d’appeler Dieu ».

Dieu, cet autre chose, impossible pour l’Homme à définir, à imaginer, à concevoir, à exprimer par les mots. Dieu n’a pas réfléchi à la création, l’Éternité n’accorde pas audience au temps, la création était, est et sera. Le changement est la clef de voûte de son fonctionnement. « Le temps est la marque de fabrique de Dieu. […] Comme la naissance de chacun d’entre nous, la première fraction de seconde de cet univers encore tout neuf est déjà lourde de sa disparition. […] Tout se passe dans ce monde comme si Dieu avait confié ses pouvoirs au temps, appuyé par le hasard et la nécessité ». En apparence tout au moins.

Dieu place les nombres sur le chemin de l’Homme, il les découvre, en fait d’abord usage comme simple moyen de comptage, puis il développe les premières opérations mathématiques, voilà trois mille ans avant notre ère, et si, aujourd’hui, grâce aux contributions conjointes de nombreux physiciens et mathématiciens au chapitre desquels figurent notamment Gauss, Friedmann, Planck, Einstein, Pierre et Marie Curie, Heisenberg, Schrödinger, Bohr, Lemaître et Gamov, la physique mathématique permet d’appréhender et de décrire le phénomène du big bang, le mur du pourquoi reste, en revanche, infranchissable. Pas de concept permettant de construire la représentation mathématique d’une réalité sans l’activité psychique y conduisant, la pensée : « La création d’abord, la pensée ensuite sont de formidables machines à noyer le néant sous les flots successifs de ce rêve de Dieu que nous appelons le réel. La matière avec ses atomes, ses électrons, ses positons, ses protons, ses neutrinos, ses quarks et tout le tremblement. La lumière, avec ses photons, et longtemps personne pour la voir. L’eau. L’air. Les étoiles. Les galaxies. Et puis la pensée qui vous reprend tout ça, qui l’emballe, qui le transforme et qui lui donne un sens - ou une absence de sens, mais qui réclame un sens. Oui, de quoi devenir fou».

Autre énigme, la présence du mal dans notre monde. Quelle qu’en soit l’origine, humaine ou naturelle, le mal, la souffrance qu’il inflige à l’homme, tourmente son cœur et son esprit. En termes proches de ceux de Leibniz, comment concilier l’existence du mal avec celle de Dieu, d’un dieu bon et tout-puissant « qui permet tant de souffrances » ? « Tout se passe comme si Dieu avait mis de force un marché cruel entre les mains de la vie : «J’introduis la vie dans l’univers, mais la souffrance l’accompagne ». Il récidive avec la pensée : « Je te donne la pensée, pourrait-il dire à l’homme, mais, en plus, de la souffrance et de la mort qui sont la loi de la vie, tu auras aussi le mal. Et, parce que tu seras libre, tu en seras responsable ». La question reste ouverte, en dehors du temps.

Et puis, qui dit vie, dit mort et, surtout, qu’y a-t-il derrière la porte ? « […] pour les uns, nous sommes des primates améliorés et nous subirons, après notre mort, le sort des vertébrés et des mammifères […] ; pour les autres, nous sommes radicalement différents de toutes autres créatures vivantes et il y a en nous comme un pâle reflet du divin ». Que choisir ? « Si l’univers est le fruit du hasard, si nous ne sommes rien d’autre qu’un assemblage de à la va-comme-je-te-pousse de particules périssables, nous n’avons pas la moindre chance d’espérer quoi que ce soit après la mort inéluctable. Si Dieu, en revanche, et ce que nous appelons - à tort - son esprit et sa volonté sont à l’origine de l’univers, tout est possible ».

Et, en fin de compte, si l’homme retenait la solution du possible ? Celle d’un dieu qui n’est rien sans les hommes. Celle d’un monde où l’homme aimant Dieu aime son prochain. Celle d’un Dieu qui n’est rien d’autre que le tout. Celle d’un Dieu qui envoie aux hommes, « des signes chiffrés et transparents : son Fils, des prophètes. Des chefs d’œuvre  improbables et plus grands que les hommes, le temps, la lumière, une beauté déchirante, la vérité […], une justice toujours boiteuse, la fin de tout sans exception et notre mort à tous qui n’aurait pas le moindre sens si la gloire de Dieu […] ne régnait pas aussi et déjà sur ce tout primordial dont l’autre nom est ce rien où nous retournerons et que, dans notre folie, nous appelons le néant ».

« Comme un chant d’espérance », le dernier roman de Jean d’Ormesson est un texte magnifique. Il s’inscrit bien au-delà d’un roman sur Dieu, sur la naissance de l’univers, le big bang, le temps et l’espace ou encore sur l’homme. Ses mots, choisis avec soin, tendresse et amour, participent de l’une des entreprises les plus ardues et délicates qui soient, celle d’approcher Dieu avec, au final, un acte de foi et d’espérance, dressant comme un plaidoyer la liste des événements où Dieu se manifeste, à ses yeux, « avec une sorte d’évidence et d’éclat ».



Valérie DEBIEUX (2014)


(Éditions Gallimard, Collection Folio, octobre 2015, 128 pages)

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